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Un présage. Les dessins au doigt de Louis Soutter

Artiste suisse né en 1871, Louis Soutter a créé une œuvre prolifique, habitée de fantasmagories, d’êtres étranges et d’architectures singulières, questionnant la condition humaine à travers la littérature, se nourrissant notamment de la dramaturgie shakespearienne et du romanesque de Victor Hugo, évoquant explicitement Notre-Dame de Paris et Quatre-vingt-treize dans ses premiers dessins. Car Soutter, étiqueté parmi les artistes de l’art brut par Jean Dubuffet pour ses ultimes dessins aux doigts, est loin d’être un autodidacte : formation d’ingénieur et d’architecte à Genève, étude du violon, puis de la peinture. Une solide culture classique. Installé à Colorado Springs (USA) en 1897, il enseigne le dessin et la musique, menant en parallèle une carrière de portraitiste classique et d’illustrateur de presse, jusqu’à son divorce. Rentré en Suisse en 1903, il reprend une carrière musicale comme premier violon de l’orchestre philharmonique de Genève. Mais il va accumuler les souffrances physiques (affaibli par le typhus) et psychiques (la mort de son père, puis de sa sœur). Il perd sa place dans l’orchestre en 1915 et se marginalise.

En 1923, endetté, Soutter qui a 52 ans est placé sous tutelle à la demande de son frère dans un hospice pour vieillards et indigents à Ballaigues, dans le Jura vaudois. Il se procure des cahiers d’écolier, puis de grandes feuilles grâce à l’appui de son cousin Le Corbusier et il se met à dessiner à un rythme intense. Dans une veine maniériste, il dessine des scènes de la vie quotidienne, des villes, des architectures anciennes ou modernes, des femmes, des personnages de l’Histoire ou de l’Écriture sainte, illustre aussi des œuvres littéraires, etc. Corbusier lui organise une exposition au Wadsworth Atheneum Museum of Art de Hartford (USA) et lui consacre un article dans la revue Minotaure en 1936. Il est aussi soutenu par des amis dont Giono et les frères Valloton qui l’exposent dans leur galerie à Lausanne.
Mais, peu à peu, le crayonné s’emballe, s’affole, le dessin se surcharge de traits anarchiques, l’œuvre s’intériorise de plus en plus. À partir de la fin des années 1930, souffrant d’une importante baisse de vision et d’arthrose articulaire, il ne peut plus tenir le crayon et travaille directement avec ses doigts trempés dans la peinture noire. Ses personnages deviennent des silhouettes archaïques, son vocabulaire se recentre autour de signes poétiques et de crucifixions. L’expression du tragique est portée à son paroxysme. Mais cette nouvelle orientation provoque une rupture avec Le Corbusier. Et la guerre va l’isoler encore plus.
Après sa mort en 1942, à 71 ans, les collectionneurs vont se passionner pour son œuvre hors normes, assimilée à tort à de l’Art Brut, c’est-à-dire exempt de toute construction et surtout de toute culture.
La galerie Karsten Greve réunit des dessins et peintures que l’artiste suisse réalisa entre 1937 et 1942 et donne une place particulière aux dessins au doigt.

Catherine Rigollet

Visuels : Louis Soutter, Tanagras, 1938, encre et craie grasse sur papier.
Louis Soutter, Le Tournant, 1939, huile et gouache sur papier.

Archives expo à Paris

Visuels de l'artiste
Infos pratiques

Du 29 août au 12 octobre 2020
Galerie Karsten Greve
5, rue Debelleyme 75003
Mardi - Samedi 10h – 19h
https://galerie-karsten-greve.com