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Love songs. Photographies de l’intime

Comment représenter l’amour, donner à voir les relations amoureuses, leur tendresse et leur cruauté, leur douceur et leur violence, leur sensualité et leur pudeur, leur silence et leur babillage, les regards, les gestes et les mots ? La MEP nous en offre une lecture originale, une lecture suscitant de belles émotions, dans cette exposition « Love Songs » qui fait s’enchaîner quatorze séries photographiques d’artistes majeurs des XXe et XXIe siècles.

Ces séries sont issues de la collection de la MEP et de prêts des artistes, certaines présentées pour la première fois en Europe. « Love Songs » a été conçue par Simon Baker, directeur de la MEP et commissaire de l’exposition, comme une « de ces compilations personnelles de musique que nous avions l’habitude d’offrir, dans ma jeunesse, aux personnes dont nous étions amoureux et que nous échangions entre amants … sous la forme de cassettes audio enregistrées à partir de disques vinyles. » En face A de « Love Songs », les séries des années 1950 à 2000, en face B, les séries des années 2000 à nos jours. Un procédé de « Visites Sonores » est d’ailleurs associé à l’exposition qui permet aux visiteurs, les jeudis soirs et dimanches, de la parcourir en musique grâce à une playlist diffusée dans des casques de la marque Orosound via une application installée sur son smartphone…

L’exposition s’enroule autour de deux séries emblématiques, Sentimental Journey et Winter Journey du japonais Nobuyoshi Araki et The Ballad of Sexual Dependency de Nan Goldin. Les deux premières évoquent le voyage de noces d’Araki avec sa jeune épouse Yoko en 1971 (Sentimental Journey) et la mort de cette même femme en 1989 (Winter Journey). Dissection de la réalité, scalpel dans le fil du temps. « Le roman personnel est ce qui se rapproche le plus de la photographie », a dit le photographe japonais. La série de Nan Goldin, The Ballad of Sexual Dependency, s’étale entre 1973 et 1986 en une sorte de documentaire montrant la vie intime de l’auteur et de son groupe d’amis, une saturation de toutes les aspérités d’une communauté plutôt trash. Son rapprochement avec la série Tulsa (1963-1971) de Larry Clark faite de portraits de ses jeunes amis marginaux est judicieuse qui raconte une certaine Amérique de violence et de drogue.

Cependant l’exposition commence par la très sensible et élégante série L’Œil de l’amour (1952) du photographe suisse René Groebli qui rassemble les photos prises lors de sa lune de miel dans un hôtel parisien avec son épouse Rita Dürmüller : « Si j’avais été poète, je lui aurais écrit des poèmes, mais, photographe, mon désir était de garder des souvenirs et de réussir à capter l’atmosphère inoubliable de ce voyage avec Rita. J’ai décidé de lui offrir un poème en images. » En effet, un poème visuel d’une grande beauté tout en épure. Même sentiment d’adoration simple, d’hymne à la femme aimée dans la série Édith d’Emmet Gowin qui photographie sa femme, et même la famille de celle-ci, de 1967 à 2012 ! Deux séries nous plongent aussi au cœur de l’intime, des facéties et des moments simples de la relation amoureuse, avec Thierry (1976-1991) d’Hervé Guibert et Sans titre (1980-1981) d’Alix Cléo Roubaud.

Encore plus loin dans l’intimité

On sent qu’à partir des années 2000, le dévoilement de l’intimité va encore plus loin, jusqu’au malaise parfois. Même si cette face B de l’exposition débute par Foreign Affair (2011) de la française Margot Wallard et du suédois JH Engström qui documente les deux premiers mois de leur histoire d’amour, ces premiers mois passionnels où s’embrasent le désir, le rire et la liberté, l’amour à son incandescence, l’intimité et le sexe joyeux. Une semblable tentative de célébrer la rencontre amoureuse, même si la forme à la fois plus symbolique et sophistiquée diffère de Foreign Affair, dans Personnal Letters (2000) de RongRong&inri, le nom unifié du photographe chinois RongRong et de la photographe japonaise Inri.

Collier Schorr a réalisé sa série Angel Z (2020-2021) sur sa relation de travail et amoureuse avec Angel Zinovieff. Joie et couleurs chez le chinois Lin Zhipeng (aka n°223) qui nous épate sur la liberté sexuelle en Chine dans sa série Photographed colors of love (2005-2021) ! Trois séries plus dérangeantes : Proud Flesh (2003-2009) de Sally Mann, Mama Love (2007) de Hideka Tonomura et Double Bind (2010) de Leigh Ledare. La première présente des photos (traitées selon l’ancien procédé photographique au collodion humide) de Larry, le mari de Sally Man, atteint d’une dystrophie musculaire qui fait perdre progressivement l’usage des membres. Images d’une beauté dérangeante où la vulnérabilité le dispute à la tendresse, sublimant presque ce processus de déchéance. Mama Love raconte l’épisode troublant de Tonomura qui photographie sa mère adultère mais libérée d’un mari violent dans la chambre d’hôtel où elle retrouve son amant, un corps masculin d’ailleurs réduit à une masse sombre car « brûlé » dès la chambre noire ! Dans Double Bind (2010), Leigh Ledare prend comme modèle son ex-femme Meghan photographiée d’abord par lui puis, au même endroit deux mois après, par son nouveau mari, le photographe Adam Fedderly. Les jeux de l’amour sont impénétrables !

Justement, la photographie ne serait-elle pas l’art qui capte le mieux la durée de l’amour, son intensité d’existence ? Paysages émotionnels, reportages sur l’intime, exploration des territoires de l’amour, « Love Songs » déploie une diversité d’univers intimes et amoureux comme un kaléidoscope de sensations qui provoque chez le spectateur mélancolie ou répulsion, attirance ou rejet, les deux parfois mêlés…

Jean-Michel Masqué

Visuels : René Groebli. Série L’Œil de l’amour, 1952. Collection MEP, Paris © René Groebli, courtoisie de l’artiste et de la galerie Esther Woerdehoff, Paris.
Emmet Gowin. Edith, Chincoteague, Virginia, 1967. Collection MEP, Paris.
© Emmet Gowin. Courtoisie de l’artiste et de la Pace Gallery, New York.
RongRong&inri. Série Personal letters, 2000 © RongRong&inri.
Nobuyoshi Araki. Série Sentimental Journey, 1971. Collection MEP, Paris. Don de la société Dai Nippon Printing Co., Ltd. © Nobuyoshi Araki, courtoisie Taka Ishii Gallery.
Hervé Guibert, T. au verre de vin, tête penchée, Santa Caterina, 1983. Courtoisie Les Douches la Galerie, Paris © Christine Guibert.

Archives expo à Paris

Visuels de l'artiste
Infos pratiques

Du 30 mars au 21 août 2022
MEP/Maison européenne de la photographie
5-7, rue de Fourcy 75004
Mercredi et vendredi, de 11h à 20h, jeudi de 11h à 22h
Samedi et dimanche de 10h à 20h
Plein tarif : 10 €
01 44 78 75 00
www.mep-fr