Magdalena Abakanowicz. sculpter le textile

Le musée Bourdelle consacre une magnifique exposition à la sculptrice polonaise Magdalena Abakanowicz (1930-2017) qui a révolutionné l’art de la tapisserie au début des années 1960 en la transformant en sculpture tridimensionnelle, troublante et symbolique, marquée par les aléas de son destin.

Dans son enfance, la sculptrice polonaise Magdalena Abakanowicz (1930-2017) a subi l’invasion nazie, la destruction de Varsovie, la censure et les privations. En grandissant, elle se mit à considérer la fibre comme l’organisme élémentaire du corps humain et de tous les organismes vivants, et avec lequel elle allait construire son œuvre en commençant par révolutionner l’art de la tapisserie au début des années 1960 en la transformant en sculpture tridimensionnelle se déployant dans l’espace, troublante et symbolique, marquée par les aléas de son destin. Souvent politique, volontiers sexuelle, parfois inquiétante, dénonçant la barbarie et la prédation, d’une puissance indéniable, son œuvre résonne aujourd’hui avec les problématiques contemporaines : humanistes, féministes, environnementales.

Minimalisme et radicalité

Le musée Bourdelle lui consacre une magnifique exposition avec un parcours chrono-thématique d’œuvres textiles, de sculptures, d’installations sculptées, de dessins et de photographies qui s’ouvre dans le jardin sur rue avec la monumentale Grande figure en bronze, un torse recouvert de traits saillants semblables aux plis d’un linceul ; une sculpture d’une force plastique qui fait écho à celles du maître des lieux, autant qu’aux figures de Rodin ou de Giacometti.
La visite se poursuit dans les 600m2 de l’aile Portzamparc avec des pièces textiles de ses débuts et des têtes sculptées aux yeux clos évoquant un masque mortuaire, premiers témoignages et mise en bouche du travail de l’artiste qui se monumentalise avec ses Abakans. Élaborées à partir du milieu des années 1960, ces spectaculaire pièces textiles en trois dimensions, suspendues au plafond ou étendues au sol, monochromes rouges, oranges, bruns ou noirs tissés de sisal, de laine, crins de cheval, cordes et tissus de récupération -pour cause de pénurie de matériaux- imposent leur minimalisme et leur radicalité, évoquant ici des ailes et un nez proéminent, là une vulve géante, là encore une grotte protectrice.

La condition humaine

Dans les années 1970, la pratique d’Abakanowicz s’ouvre à la figure humaine avec les séries des Dos et des Figures dansantes recouverts de bandes de toile de jute qui s’apparentent aux tissus cellulaires de l’épiderme. Des coques humaines, sans identité, solitude parmi la multitude, qui interrogent la présence et la disparition, comme dans sa série encore plus douloureuse des Paysages : des bas-reliefs de corps morcelés et pétrifiés telles des victimes de Pompéi et d’Herculanum.
Inspirée par le processus de morphogenèse, son installation emblématique Embryologie, présentée en 1980 au pavillon polonais de la 39e Biennale de Venise, totalise plusieurs centaines de cocons de différentes tailles (ici limitée à une cinquantaine de petits formats), enveloppés de toile textile suturée que l’on peut voir comme des embryons ou des graines et qui rappelaient à l’artiste, selon la commissaire Ophélie Ferlier-Bouat, les grappes d’œufs de têtards prêts à éclater, observées dans son enfance.

Le visible et l’invisible

Si elle a toujours dessiné, Magdalena Abakanowicz intensifie sa pratique de l’art graphique à compter des années 1980 en s’intéressant toujours plus intensément à la complexité et au mystère du vivant : au visible (l’enveloppe) et à l’invisible (l’intérieur). Comme dans ses grands dessins de Torses à la forme christique habitée au centre de chaque composition par une masse fœtale (la vie à l’œuvre), ou dans la série des Mouches renversées (la mort à l’œuvre) dont les traits du dessin au fusain soulignent la transparence des ailes et le mouvement interrompu.
L’exposition intègre des extraits du film Abakany, réalisé en 1969 par l’artiste en collaboration avec le cinéaste Jaroslaw Brzozowski (1911-1969) présentant son travail dans l’atelier et ses Abakans déployés dans le décor lunaire de la mer Baltique. Elle s’achève sur le cycle des Jeux de guerre avec une œuvre magistrale et très Arte Povera d’un tronc d’arbre enserré dans une gangue d’acier pointue (La Pie, 1992), faisant écho à la puissance destructrice de la guerre.

Catherine Rigollet

Archives expo à Paris

Infos pratiques

Du 20 novembre 2025 au 12 avril 2026
Musée Bourdelle
18, rue Antoine Bourdelle 75015
Du mardi au dimanche, 10h-18h
L’accès aux collections permanentes est gratuit et sans réservation.
Les expositions temporaires sont payantes (12€/10€).
Tl. 01 49 54 73 73
www.bourdelle.paris.fr


Visuels :

 Magdalena Abakanowicz, Grande Figure, 2009. Bronze. Cracovie, collection Teresa et Andrzej Starmach. Photo : L’Agora des Arts.

 Magdalena Abakanowicz, Têtes, série des portraits anonymes, 1989-1990. Toile de coton et résine sur âme de bois. Varsovie, Fondation Marta Magdalena Abakanowicz-Kosmowska et Jan Kosmowski. Photo : L’Agora des Arts.

 L’artiste Magdalena Abakanowicz dans son atelier, 1960 (détail). Fondation Marta Magdalena Abakanowicz-Kosmowska et Jan Kosmowski. © Marek Holzman.

 Magdalena Abakanowicz, Abakan rouge, 1969. 4m de H. Sisal. Londres Tate Modern. Photo : L’Agora des Arts.

 Magdalena Abakanowicz, Figures dansantes, 2001. Toile de jute, résine, métal.
Varsovie, Fondation Marta Magdalena Abakanowicz-Kosmowska et Jan Kosmowski. Photo : L’Agora des Arts.

 Magdalena Abakanowicz, Abakan noir en trois parties, 1972. Sisal et lin. Lodz, musée central du textile. Et série des Torses, 1981. Gouache et collage sur papier / Fusain sur papier. Varsovie, Fondation Marta Magdalena Abakanowicz-Kosmowska et Jan Kosmowski. Photo : L’Agora des Arts.

 Magdalena Abakanowicz, Mouches, 1993, fusain, Fondation Marta Magdalena Abakanowicz-Kosmowska et Jan Kosmowski, Varsovie, Pologne © Piotr Ligier

 Magdalena Abakanowicz, Mutants debout, 1992-1994. Toile de jute, résine et armature d’acier. Varsovie, Fondation Marta Magdalena Abakanowicz-Kosmowska et Jan Kosmowski. Photo : L’Agora des Arts.