Tout le monde connaît Giverny et son « jardin extraordinaire », dernière demeure d’un Claude Monet (1840-1926) patriarche voué à son grand cycle des Nymphéas. Il faudra désormais compter sur la maison Monet d’Argenteuil, baptisée « Maison impressionniste » depuis son ouverture au public lors des Journées du patrimoine 2022. Sise au 21, boulevard Karl-Marx (ancien boulevard Saint-Denis), cette maison unit maintenant, non sans une certaine ironie, le « prophète » du communisme et le « pape » de l’impressionnisme !
Pas plus d’œuvres originales de Monet à Argenteuil que de toiles de Van Gogh à Auvers-sur-Oise… Mais un chalet à l’architecture d’origine et à la configuration intérieure restituée façon XIXe siècle pour s’approcher au plus près de « la maison rose aux volets verts » que Claude Monet, sa femme Camille et son fils Jean occupèrent d’octobre 1874 à janvier 1878. Leur seconde demeure à Argenteuil où la famille Monet arriva fin 1871 dans une autre habitation déjà à proximité de la gare alors en service depuis quelques années seulement. En 2022, la Maison Monet est toujours proche de la gare d’Argenteuil mais fait face au mur du parking aérien desservant la gare de l’autre côté du boulevard… Il faut vite rentrer à l’intérieur de la maison vers le jardin d’hiver, reconstitué d’après des œuvres de Monet, et le jardin proprement dit à l’arrière de la maison, lui aussi rétabli dans son aspect d’origine même s’il a été réduit de moitié. On sait la passion horticole immodérée et permanente de Monet.
De ce premier niveau, le visiteur grimpe dans les étages où sont tour à tour abordées la ville, la campagne et la Seine. Dès 1872, Monet a embrassé son territoire, son nouvel atelier en plein air, arpentant les rues et les champs d’Argenteuil, alors ville de campagne et de villégiature, s’appropriant la Seine de Paris au Havre. Le peintre approfondit au cours de ses années les motifs et les couleurs qui feront son singulier génie (Les Coquelicots à Argenteuil, Bassin d’Argenteuil, Régates à Argenteuil, Le Pont routier, Le Pont de chemin de fer, Les Canotiers d’Argenteuil et même l’iconique Impression, soleil levant, peint au Havre en 1873…). Avant la reconnaissance et la gloire, cette période argenteuillaise de Monet est une des plus fastes de sa production malgré les aléas des rentrées d’argent. Pendant un peu plus de six ans, Monet peint 259 tableaux dont plus de 150 ayant Argenteuil pour thème ou arrière-fond. Au deuxième étage de la maison, ce qui peut sembler paradoxal, la cabine du bateau-atelier (Le Bateau-atelier de 1874 et Monet peignant dans son bateau-atelier la même année par Manet) est reconstituée avec ses lampes marines et l’ajout moderne de hublots transformés en écrans numériques.
Dans ce « musée sans œuvre », des dispositifs numériques permettent de découvrir, en ouvrant un tiroir ou en poussant un volet, certaines des œuvres emblématiques, des documents ou lettres manuscrites de cette fructueuse période. « Il est des projets où la voix du lieu doit être plus forte que celle de l’intervention actuelle, indique l’architecte Loup d’Avezac de Castera (agence Lacaa) qui a aussi réalisé l’Atelier des Lumières à Paris. Notre démarche est tout entière tournée vers la mise en valeur des qualités originelles de l’architecture de la maison. Nos propositions visent à raviver l’écriture architecturale du XIXe siècle et le charme du jardin. » Et lorsque l’industrialisation commence à grignoter Argenteuil, l’amoureux des jardins part vers d’autres campagnes, à vrai dire pour des raisons financières principalement. Monet laisse derrière lui cette maison devenue en 2022 le lieu d’évocation d’une époque révolue et d’une période où le génie artistique du peintre s’est définitivement épanoui.
Jean-Michel Masqué
