Man Ray (1890-1976), né Emmanuel Radnitzky à Philadelphie, n’est pas le premier artiste que la Méditerranée ait fasciné. Combien d’ateliers du Midi réels ou fantasmés ! Une des premières années de son installation en France (il arrive à Paris en 1921 sur les conseils de son ami Marcel Duchamp), Man Ray accompagne Francis Picabia, au volant d’un de ses bolides légendaires, sur la Côte d’Azur. « Et quand j’aperçus la Méditerranée, je fus tout à fait conquis », écrit l’artiste (*). C’est cette rencontre enchantée entre l’artiste américain, à la vie très parisienne, et la Côte qu’illustre l’exposition présentée à La Banque, le musée des cultures et du paysage d’Hyères, et intitulée Le Beau temps, titre d’un tableau surréaliste de Man Ray de 1939 (on ignore souvent que Man Ray fut d’abord peintre avant de se mettre à la photo qui lui apporta fortune et célébrité). Même si pour l’affiche de l’exposition, les organisateurs ont préféré l’iconique Le Violon d’Ingres de 1924, le dos de Kiki de Montparnasse (alors compagne de Man Ray) percé de deux ouïes de violon.
Le premier épisode sudiste de Man Ray tourne autour de la Villa Noailles, bâtie au-dessus de la ville d’Hyères, construite en 1925 sur les plans de l’architecte Robert Mallet-Stevens pour le couple d’aristocrates mécènes Charles et Marie-Laure de Noailles. Man Ray fréquente le couple dans les années vingt, surtout leurs excentriques bals costumés. L’artiste répond en 1929 à une commande du vicomte qui souhaite marquer l’inauguration de la villa par un film à la gloire du bâtiment. À partir de cette maison « cubiste », Man Ray imagine des dés et pense au célèbre poème de Mallarmé « Un coup de dés jamais n’abolira le hasard », d’où ce film de 25 minutes muet et en noir et blanc Les Mystères du Château du Dé. Le film est d’ailleurs projeté le temps de l’exposition dans la salle des coffres au sous-sol de cette ancienne succursale de la Banque de France. Photos du site et du tournage, exposition du tableau exposé pour la première fois en France Monsieur et Madame, Vicomte de Noailles, déguisés en Fantômes d’Action au Château du Dé, échanges de courriers… font revivre cet épisode de la bohème argentée des Années Folles aux teintes surréalistes.
Le second épisode sudiste de Ray se situe quelques années plus tard lorsque l’artiste rejoint la joyeuse bande réunie du côté de Mougins autour de Picasso les étés de 1936 à 1938 dans une ambiance amicale-amoureuse et travailleuse (**). Là aussi, l’exposition documente ces moments de vacances à travers des clichés devenus très célèbres mais aussi d’autres photos moins connues de Ray, celles de sa compagne d’alors Adrienne « Ady » Fidelin ou des photogrammes du film La Garoupe. Certains vintages (épreuves contemporaines du négatif ou des années suivantes) sont présentés sous vitrine. Toujours beaucoup d’émotion de se glisser dans ces étés d’insouciance et d’intimité, jusqu’aux nus de Nusch et Ady, de tels monstres sacrés ! Appendice à ce « beau temps » des amis, une salle est consacrée à la genèse et à la réalisation en 1937 du recueil Les Mains libres qui réunit Man Ray et Paul Éluard.
Les autres salles quittent le sud pour présenter les « incontournables » de Man Ray, les photos qui ont fait sa renommée, Noire et Blanche, La Prière, Le Violon d’Ingres … rappelant au passage son utilisation créative du procédé de solarisation ou l’invention des Rayographies à partir de la technique du photogramme. Une Galerie des surréalistes présente la plupart des artistes de ce mouvement portraiturés par Man Ray, seuls ou sur de célébrissimes photos de groupe. Sans doute un clin d’œil des deux commissaires de l’exposition, Sylvie Gonzalez et Pierre-Yves Buztbach, à l’exposition rétrospective « Man Ray. Maître des Lumières » qui se tient en cette même période (1er juillet au 5 novembre) au Palais Lumière d’Évian et dont Pierre-Yves Buztbach est aussi co-commissaire. Quoi qu’il en soit, et si vous êtes plutôt Côte d’Azur que lac Léman, l’exposition de La Banque est une très belle introduction à l’univers de Man Ray et à cette période d’ébullition artistique de l’entre-deux guerres.
Jean-Michel Masqué