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Marcel Proust. A la recherche du Paris disparu

2021 et 2022, années bénies pour les proustophiles, proustomanes, proustolâtres, proustologues, et même proustographes (cf. Nicolas Ragonneau, Le Proustographe. Proust et « La Recherche du temps » perdu en infographie, Denoël, 2021) !
L’année dernière célébrait le cent-cinquantenaire de la naissance de Marcel Proust (1871-1922) et cette année inaugure la commémoration du centenaire de sa mort.
Même moins fanatiques, les simples amoureux de la littérature, de l’art et de l’histoire de Paris peuvent aussi se réjouir de cette première exposition du musée Carnavalet-Histoire de Paris, Marcel Proust. Un roman parisien, lançant une riche année « proustienne ». Deux expositions s’ont d’ores et déjà annoncées cette année au musée d’Art et d’histoire du judaïsme et à la Bibliothèque nationale de France.

Si le parcours de l’exposition est clair, divisé en deux parties, d’abord le Paris vécu de Proust et ensuite le Paris recréé de À la recherche du temps perdu, le roman majeur de l’écrivain paru en sept sections, on risque pourtant de se perdre dans l’accumulation d’œuvres d’art et d’objets, de manuscrits et d’archives, d’images et de sons (280 pièces en tout) comme autant de traces et de vestiges d’un Paris réel et d’un Paris imaginaire. À tel point qu’il est possible de confondre ces traces des deux Paris, mais pourquoi pas de rêver à de secrètes correspondances, une référence baudelairienne que n’aurait pas reniée Proust. D’ailleurs, dans le premier volume de son roman, Du côté de chez Swann, l’auteur avertissait presque le visiteur d’aujourd’hui en écrivant : « Les lieux que nous avons connus n’appartiennent pas qu’au monde de l’espace où nous les situons pour plus de facilité. Ils n’étaient qu’une mince tranche au milieu d’impressions contiguës qui formaient notre vie d’alors ; le souvenir d’une certaine image n’est que le regret d’un certain instant ; et les maisons, les routes, les avenues, sont fugitives, hélas comme les années. » Cette plongée dans le Paris des années 1870-1920, où Proust a vécu la majeure partie de sa vie, puis dans le Paris de La Recherche (puisque les autres lieux emblématiques du roman, Combray et Balbec, sont forcément délaissés) nécessite de prendre le pas du flâneur.

La plupart des représentations iconiques de Proust sont là. On pourrait tracer son propre chemin de visiteur à partir du fameux portrait de Jacques-Émile Blanche (« La Joconde des proustiens » selon Jean-Yves Tadié, grand spécialiste de l’œuvre et de la vie de Proust), peint alors que Marcel n’a que vingt-et-un ans, jusqu’à la photo de Man Ray, Marcel Proust sur son lit de mort, c’est-à-dire en passant du jeune homme mondain, prêt à radiographier la société de son temps, à l’écrivain encore jeune, certes asthmatique mais surtout épuisé d’être arrivé au bout de l’écriture de son long chef-d’œuvre. À l’automne 1922, Proust dit à celle qui est bien plus que sa domestique, Céleste Albaret : « C’est une grande nouvelle. Cette nuit, j’ai mis le mot « fin ». Maintenant, je peux mourir. » Il meurt le 18 novembre. Côté reliques et fétichisme, on est servi avec la reconstitution de la chambre de Proust, présentée comme une expérience « immersive » selon ce qualificatif rebutant employé à tort et à travers ces temps-ci… La canne, la pelisse, la montre gousset, l’encrier, le lit en laiton et jusqu’aux morceaux de dessus de lit et de liège (ce dernier recouvrait les murs de sa chambre de reclus pour mieux l’isoler) ! On est plus que jamais dans le côté cabinet de curiosités de l’exposition. Parmi les pièces très peu connues de l’univers proustien, on s’arrêtera devant les photographies d’hôtels particuliers presque vides de Claude Schwartz réalisées en 1971 à l’occasion des repérages de Luchino Visconti qui projetait d’adapter le grand roman proustien, ce qui n’aboutit jamais. Le noir et blanc de ces photos renforce encore leur statut de vestige et nous cause un léger vertige. Il est possible de parcourir la seconde section de l’exposition, le Paris fictionnel de Proust, entre les lithographies de Bonnard pour le paravent Promenade des nourrices, frise de fiacres et Les Pavés, étude pour Rue de Paris, temps de pluie de Caillebotte, comme on voyagerait de Du côté de chez Swann à Le Temps retrouvé.

Loin d’avoir épuisé cette très riche exposition, qui évite parfois de justesse le fatras, nous souhaiterions conclure par cette belle et juste analyse d’Alain Vircondelet : « Proust ne restitue pas Paris comme un tableau réaliste, mais au croisement de l’impressionnisme, du symbolisme, du réalisme et même du kitsch pompier (on pense à Gervex) ; il rapporte la chronique mondaine des beaux quartiers en superposant et en télescopant les multiples couches de mémoire qui les traversent, ranimées par son écriture spéléologique, leur rendant leur vie profonde et moirée et par lui enfin saisissable. C’est alors l’assomption d’un Paris inaugural, réverbéré par ses sensations, qui n’aura eu qu’un temps l’apparence fugace de l’ordinaire réalité. » (*)

Jean-Michel Masqué

(*) « Un aventurier dans la ville », BeauxArts, n° spécial « Marcel Proust. Un roman parisien », p.13 (12 €).

Visuels : Jacques-Émile Blanche, Portrait de marcel Proust, 1892 © Photo RMN-Grand Palais (Musée d’Orsay) / Hervé Lewandowski.
Henri Gervex, Une soirée au Pré-Catelan, 1909. Collection du musée Carnavalet - Histoire de Paris CCØ Paris Musées / Musée Carnavalet - Histoire de Paris.
René-Xavier Prinet, Le Balcon, 1905-190 © Caen, musée des Beaux-Arts / Patricia Touzard.
Gustave Caillebotte, Les Pavés, étude pour Rue de Paris, temps de pluie, 1877. Collection particulière © Jean-Louis Losi / Adagp, Paris 2021.
Mobilier ayant appartenu à Marcel Proust. Collection du musée Carnavalet - Histoire de Paris © Pierre Antoine / Paris Musées / Musée Carnavalet - Histoire de Paris.
Man Ray, Marcel Proust sur son lit de mort, 20 novembre 1922 © Man Ray 2015 Trust / Adagp, Paris 2021 / RMN-Grand Palais (musée d’Orsay) / Hervé Lewandowski.

Archives expo à Paris

Visuels de l'artiste
Infos pratiques

Du 16 décembre au 10 avril 2022
Musée Carnavalet - Histoire de Paris
23, rue de Sévigné, Paris (3e)
Tous les jours de 10h à 18h
Plein tarif : 11 €
01 44 59 58 58
www.carnavalet.paris.fr
www.billetterie-parismusees.paris.fr