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Henri Matisse, comme un roman

Toute chronologique qu’elle soit, l’exposition « Matisse comme un roman » n’est cependant pas une rétrospective à proprement parler. Même si elle marque le cent cinquantième anniversaire de la naissance du peintre (31 décembre 1869). Son titre fait allusion à l’ouvrage foisonnant, voire « éclaté », d’Aragon intitulé Henri Matisse, roman. Cet ouvrage, publié en deux forts volumes illustrés en 1971, rassemble des textes écrits entre 1941 et 1968 où se mêlent analyses esthétiques sur le peintre et son œuvre, histoire de la relation entre le peintre et l’écrivain et considérations autobiographiques. Matisse vu par Aragon vu par lui-même en quelque sorte, deux vies entre le réel et la fiction. En « Prière d’insérer » de son livre, Aragon écrit en 1968 : « Ceci est un roman, c’est-à-dire un langage imaginé pour expliquer, croirait-on, l’activité singulière à quoi s’adonne un peintre ou un sculpteur, s’il faut appeler de leur nom commun ces aventuriers de la pierre ou de la toile, dont l’art est précisément ce qui échappe aux explications de texte. » Aragon se refuse de jouer au critique d’art. Parmi d’autres éclairages - manuscrits, textes, lettres présentés dans des vitrines au bord des salles - sur l’œuvre de Matisse en libre et inventive expansion, Henri Matisse, roman demeure le fil rouge suggéré de cette exposition.

Si l’exposition comprend neuf sections, chacune éclairée par la pensée d’un auteur différent, dont Aragon, il conviendrait sans doute de commencer la visite par « Porte-fenêtre à Collioure », qui se trouve dans la section 4, pour respecter l’esprit dans lequel l’exposition a été conçue. En effet, on trouve au cœur de « Henri Matisse, roman » cette note manuscrite d’Aragon : « La porte-fenêtre de Matisse (1914), le plus mystérieux des tableaux jamais peints semble s’ouvrir sur cet « espace » d’un roman qui commence… » D’ailleurs, la première séquence de l’exposition, s’inspirant là aussi d’une remarque d’Aragon dans son livre se demande « Où marquer ce commencement ? » Selon la commissaire d’exposition, Aurélie Verdier, l’œuvre singulière de l’artiste semble commencer en 1895 lorsque Matisse découvre et explore alors sa propre manière ; il s’affirme et se singularise après des années d’apprentissage auprès de William Bouguereau et Gustave Moreau et à l’occasion de voyages (Bretagne en 1895-1897) et Corse (1898). Au sens propre comme au sens figuré, l’artiste prend l’air et trouve la lumière, il invente ses couleurs. Matisse l’écrit ainsi à l’un de ses amis en 1896 comme une déclaration d’intention, un manifeste : « être personnel avant tout et pour cela être sincère. Seriez-vous aussi fort qu’Holbein, vous n’existeriez pas, vous ne seriez qu’une doublure. » Peinture, dessin, gravure, sculpture, Matisse n’a de cesse ensuite au fil des ans d’affirmer par toutes les techniques dont il dispose sa personnalité artistique sans hésiter à se renouveler, à poursuivre une exploration riche de découvertes et d’innovations. Matisse traverse les styles et les tendances de l’époque (néo-impressionnisme, fauvisme, cubisme, peinture décorative…) en modelant son style propre, jamais figé, toujours inventif.

C’est d’ailleurs là que l’ordre chronologique trouve son importance qui montre les étapes d’un geste, les évolutions d’une vision plastique du monde. On pense aux quatre états de Nu de dos, cette série de bronzes dont l’exécution s’étale entre 1909 et 1930, de la figuration à l’épure, très bien mis en valeur au fond de la salle 6.
Parmi les centaines d’œuvres exposées, toiles, dessins, gravures, sculptures, la plupart issues de la collection du Musée national d’art moderne, mais aussi des musées Matisse du Cateau-Cambrésis et de Nice ou de la riche collection du musée de Grenoble, certaines œuvres emblématiques brillent d’un plus vif éclat, Marguerite au chat noir, Intérieur aux aubergines, La Blouse roumaine, Grand intérieur rouge ou La Tristesse du roi…Il y a aussi dans l’œuvre matissienne une dimension littéraire évidente, que l’artiste illustre les poètes (Baudelaire, Reverdy, Mallarmé notamment), décore les revues (Verve par exemple), ou qu’il tente de définir, à travers notes et lettres, sa pensée et son art. Matisse joue avec les mots jusqu’à son ultime période des gouaches découpées de l’album Jazz (1947) et de l’œuvre d’art totale de la chapelle dominicaine du Rosaire de Vence (1948-1951) où l’artiste interprète dans son art quelques pages du livre sacré d’une religion.
Finalement ce « Matisse comme un roman » déploie les chapitres d’une création artistique passant par différentes écritures pour livrer, comme le dit Aurélie Verdier, une « pluralité d’identités formelles » où les questions de couleur, de forme et de surface s’entrechoquent en bouquets d’émotion.

Jean-Michel Masqué

Louis Aragon, Henri Matisse, Roman. Vol. II, Paris, Gallimard, 1971. Livre, 28 × 22,5 × 4 cm (fermé). Centre Pompidou, Bibliothèque Kandinsky, Paris © Succession H. Matisse © Éditions Gallimard. Photo © Centre Pompidou, Mnam-Cci, Bibliothèque Kandinsky/ Dist. Rmn-Gp.
Henri Matisse, Porte-fenêtre à Collioure, 1914. Huile sur toile, 116,5 × 89 cm. Centre Pompidou, Musée national d’art moderne, Paris. © Succession H. Matisse Photo © Centre Pompidou, Mnam-Cci/Philippe Migeat/Dist. Rmn-Gp.
Henri Matisse, Intérieur aux aubergines, 1911, détrempe à la colle sur toile, 212 × 246 cm. Musée de Grenoble. Don de Madame Amélie Matisse et Mademoiselle Marguerite Matisse, 1922 © Succession H. Matisse. Photo © Ville de Grenoble/Musée de Grenoble- J.L. Lacroix.
Henri Matisse, La Blouse roumaine, 1940. Huile sur toile, 92 × 73 cm. Centre Pompidou, Musée national d’art moderne, Paris. Don de l’artiste à l’État, 1953. Attribution, 1953 © Succession H. Matisse. Photo © Centre Pompidou, Mnam-Cci/Georges Meguerditchian/Dist. Rmn-Gp.

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Infos pratiques

Du 21 octobre 2020 au 22 février 2021
Centre Pompidou
Galerie 1, niveau 6
Créneaux de visite supplémentaires : accessible aux publics dès 10h à compter du 16 décembre et exceptionnellement ouverte les mardis 22 et 29 décembre ainsi que les 5 et 12 janvier.
Tous les jours, sauf le mardi, jusqu’à 21h
20h en période de couvre-feu, dernier accès à l’exposition à 18h
Plein tarif : 14 €
Réservation obligatoire sur billetterie
01 44 78 12 33
www.centrepompidou.fr


Visite virtuelle de l’exposition disponible sur :
https://www.centrepompidou.fr/fr/videos/video/matisse-visite...