Maurice Denis. La nature intériorisée d’un peintre-jardinier

Peintre, décorateur, illustrateur, historien de l’art, Maurice Denis (1870-1943) a toujours recherché le contact direct avec la nature, qui lui a offert ressourcement et inspiration. Ses écrits, ses dessins, ses peintures, ses décors témoignent de l’importance qu’elle tient dans sa vie, depuis sa prime jeunesse et jusqu’à ses derniers jours, qu’il la trouve dans la forêt, dans les paysages découverts lors de ses voyages et tout particulièrement dans son jardin.

À Saint-Germain-en-Laye, son jardin du Prieuré (ancien Hôpital général royal construit durant le règne de Louis XIV) où il s’installe en 1914, transformant le bâtiment en maison de famille avec le concours de l’architecte et entrepreneur Auguste Perret, est aussi important pour lui que celui de Giverny pour Monet. Il l’aménage, fait venir des plantes depuis la Normandie. À mi-pente, le paysage est formé de grands arbres ainsi que d’une roseraie et d’un théâtre de verdure. En contrebas, le jardin s’agrémente d’une fontaine et d’un bassin et comporte un verger et un potager. L’artiste s’y ressource, y puise de nombreux sujets pour ses croquis et tableaux. Partie intégrante de l’identité de la maison devenue musée en 1980 et « Maison des illustres » en 2017, le jardin a rouvert (comme le musée qui était fermé depuis juillet 2023 pour travaux) et s’avère une belle introduction à la nouvelle exposition qui explore en six thématiques l’amour du peintre pour la nature.

En partenariat avec le Domaine départemental de La Roche Jagu, à Ploëzal (Côtes-d’Armor), qui l’a présentée du 6 mai au 1er octobre 2023, elle ouvre tout naturellement sur les jardins, ces espaces propices aux scènes d’intimité familiale (Le Dessert au jardin, 1897), aux compositions de nature vivante (Pavots, 1889), aux scènes mythologiques ou religieuses (Bethsabée dans les jardins du Prieuré, 1918) de ce peintre qui a foi dans l’éternité et qui dans sa jeunesse s’est rêvé moine-peintre sur le modèle du Primitif italien, Fra Angelico. Des tableaux qui sont à chaque fois l’occasion de variations au fil des saisons, permettant d’exalter toutes les couleurs de sa palette, avec une prédilection pour le printemps, symbole de renaissance et d’amour.
L’Éternel printemps, Son célèbre décor en dix panneaux, créé pour la salle à manger de Gabriel Thomas en 1908, a pu être sauvé avant la destruction de la maison du commanditaire et reconstitué au sein du musée Maurice Denis. Mêlant le profane et le religieux, il raconte l’amour et la vie d’une jeune femme, mêlés aux cérémonies du mois de Marie et aux premières communions. On y voit des femmes au bain, à la fontaine, au jardin dans un ensemble de tons bleus et blancs et d’arbres en fleurs.

Les arbres constituent un thème récurrent dans la peinture de Maurice Denis qui apprécie les promenades dans la forêt de Saint-Germain-en-Laye, en solitaire ou en famille, et aime représenter les arbres de toutes sortes d’essences en suivant la leçon de Paul Gauguin transmise par Paul Sérusier : « vous voyez des arbres jaunes, mettez du jaune, des ombres plutôt bleues, peignez-les avec de l’outre-mer »…Une leçon appliquée à ces immenses arbres verts sous lesquels passe une procession de silhouettes roses allant à la rencontre d’un ange (Paysage aux arbres verts, 1893). En réaction avec l’Impressionnisme qu’il juge trop superficiel, Maurice Denis qui a participé en 1888 à la création du groupe des Nabis (« prophètes » en Hébreu), avant de revenir à une pratique plus classique après la découverte des fresques de la Renaissance italienne à Rome en 1898, s’exprime avec une peinture symbolisée, simplifiée et légèrement archaïsante. Selon le « nabi aux belles icônes » (surnom donné par ses acolytes) « l’art n’est plus une sensation seulement visuelle que nous recueillons, une photographie, si raffinée soit-elle, de la nature. Non, c’est une création de notre esprit dont la nature n’est que l’occasion ». S’il se promène, regarde la nature, celle que Maurice Denis peint est le plus souvent une nature intériorisée.

Catherine Rigollet

 Outre les prêts d’institutions, notamment du musée d’Orsay, nombre d’œuvres exposées sont inédites ou rarement montrées, issues en particulier de collections privées.

Archives expo à Paris

Infos pratiques

Du 13 décembre 2023 au 31 mars 2024
Le Prieuré – Maison-Musée Maurice Denis
2 bis, rue Maurice Denis, 78100 Saint-Germain-en-Laye
Tous les jours, sauf lundi : 19h30-12h30 et 14h-17h30
Dimanche : 10h30 – 17h30
Tarif plein : 8€
Tél. 01 39 07 87 87
https://www.musee-mauricedenis.fr


Visuels :

 Maurice Denis, Portrait de l’artiste au Prieuré, 1921, Huile sur toile, 71 x 78 cm. Musée départemental Maurice Denis © Jean-Bernard Barsamiam.

 Maurice Denis, Portrait de Marthe et Maurice Denis au crépuscule, dit Le Dessert au jardin, 1897, Huile sur toile, 100 x 120 cm. © RMN - Grand Palais - Benoît Touchard.
Il s’agit du jardin de la villa Montrouge où Maurice Denis et sa femme résident à cette époque, rue de Fourqueux, à Saint-Germain-en-Laye. Maurice Denis a conservé cette toile toute sa vie.

 Maurice Denis, Pavots, 1889. Collection particulière © CRMD - Olivier Goulet.

 Maurice Denis, Les Arbres verts, 1893, huile sur toile, H. 46,3 ; L. 42,8 cm. © RMN - Grand Palais - Musée d’Orsay.

 Maurice Denis, Reflets de soleil sur la rivière, vers 1932, Huile sur carton, 60 x 35 cm © Musée des impressionnismes Giverny.

 Maurice Denis, 1 des 10 panneaux du décor de L’Éternel printemps, 1908 – dans la maison Maurice Denis © Fabienn Stahl.

 Le Musée départemental Maurice Denis, vu depuis le jardin © CD/78.