Vous consultez une archive !

Amedeo Modigliani. Un peintre et son marchand

Le musée de l’Orangerie qui conserve cinq chefs-d’œuvre de Modigliani, tous rassemblés par le marchand d’art Paul Guillaume (collectionneur à l’origine du principal fonds du musée), a eu la bonne idée de montrer comment ce galeriste a soutenu l’œuvre du jeune artiste juif italien, arrivé à Paris en 1906, à l’âge de 21 ans. Une petite exposition très réussie par la pertinence du propos resserré et la belle sélection de portraits, même si on y apprend peu sur les vicissitudes de la courte vie de Modigliani, disparu à 36 ans et qui n’exposa qu’une fois de son vivant.

C’est en 1914, par l’entremise du poète Max Jacob, que le marchand et collectionneur Paul Guillaume (1891-1934), aurait découvert Amedeo Modigliani (1884-1920) à peine plus âgé que lui, devenant son premier mécène, lui louant un studio rue Ravignan à Paris, achetant des toiles et commençant la diffusion de ses œuvres sur le marché de l’art dans les années 1920, tant en France qu’aux États-Unis. On estime qu’une centaine de toiles réputées, ainsi qu’une cinquantaine de dessins et une douzaine de sculptures sont passées par ses mains.

Dès la première salle, trois portraits du marchand, des dessins et des photographies de son appartement-galerie couvert de toiles du peintre témoignent de leur amitié et de leurs goûts communs pour la poésie et les arts extra-occidentaux. Et même lorsque Modigliani commence à nouer des relations avec d’autres marchands, tel Léopold Zwoboroski, Paul Guillaume continue de promouvoir ses œuvres. Toutes celles présentées dans l’exposition ont un rapport étroit avec Paul Guillaume : qu’elles lui aient appartenu, aient été vendues par lui ou aient été commentées dans sa revue Les Arts à Paris.

Modigliani s’est presque exclusivement consacré à la représentation de la figure humaine, d’abord en sculpture, influencé par Brancusi qui l’a encouragé à la pratiquer, puis en peinture. Avec leur cou de cygne, leurs petits yeux bridés aux pupilles vides, leur nez géométrisé, leur petite bouche, tous les visages de Modigliani relèvent de la même forme stylisée et archaïque. Leur aspect de cariatide, parfois quasi-cubiste, comme cette Lola de Valence (1915), évoque encore leur lien avec la production de ses sculptures réalisées au début de la Première Guerre mondiale. Mais Modigliani restera toujours en marge des modes du fauvisme et du cubisme, plus proche d’un maniérisme élégant par l’élongation de ses figures.

Ses modèles sont principalement des personnalités qui l’entourent (Kisling, Cocteau, Soutine, Diego de Rivera…) et ses compagnes, la sulfureuse Beatrice Hastings, rédactrice en chef de la revue londonienne « The New Age » et poète, croquée comme une aristocrate dans le tableau Madam Pompadour (1915) et plus tard la douce Jeanne Hébuterne. Cette jeune peintre, surnommée Noix de coco pour son teint pâle et sa chevelure noire, issue d’une famille très catholique qui désapprouve son union avec l’artiste juif à la réputation d’alcoolique, de drogué et de colérique, se suicidera en 1920, 24 heures après le décès de Modigliani, enceinte de leur second enfant. Une fin tragique ayant contribué à forger la légende du beau Modigliani, artiste maudit.

Réformé pour raison de santé, comme Paul Guillaume, Modigliani n’a pas pris part au conflit. Tuberculeux, malade depuis longtemps, son état s’étant dégradé, il s’est installé à Nice, mais continue de travailler assidûment, se remettant aux nus féminins. Destinés à des acheteurs masculins, ces nus audacieux pour l’époque et controversés furent exposés à la galerie de Berthe Weill en décembre 1917 (la seule exposition en solo de Modigliani de son vivant), jusqu’à une descente de police demandant le retrait des toiles. Il peint aussi ses proches dans une palette plus vive inspirée par celle de Cézanne (Portrait de femme, dit aussi La Blouse rose, 1919).
Si Modigliani n’a joué aucun rôle majeur dans l’évolution de l’art moderne, la singularité de son œuvre (souvent jugée facile et répétitive) éclate ici, dans son expressionnisme délicat, mélancolique et très séduisant.

Catherine Rigollet

Archives expo à Paris

Infos pratiques

Du 20 septembre 2023 au 15 janvier 2024
Musée de l’Orangerie
Jardin des Tuileries – 75001
Tous les jours, sauf mardi
9h-18h
Tarif plein : 12,50€
https://www.musee-orangerie.fr/fr


Visuels :
 Paul Guillaume, Novo Pilota, 1915. Huile sur carton collé sur contre-plaqué parqueté. Paris musée de l’Orangerie, collection Walter Guillaume.

 Amedeo Modigliani, Tête de femme, 1913-1914. Marbre de Carrare. Paris Centre Pompidou, en dépôt au LaM (Villeneuve d’Ascq).

 Amedeo Modigliani, Madam Pompadour, 1915. Chicago. Huile sur toile. The Art Institute of Chicago. Joseph Winterbotham Collection.

 Amedeo Modigliani, Le Jeune Apprenti, 1917-1919. Huile sur toile. Paris, musée de l’Orangerie, collection Walter-Guillaume.

 Amedeo Modigliani, Lola de Valence, 1915. Huile sur papier monté sur bois. New York, The Metropolitan Museum of Art.Legs Miss Adelaide Milton de Groot (1876-1967), 1967.

 Amedeo Modigliani, Nu couché, 1917. Huile sur toile. Turin, Pinacoteca Agnelli.

 Vue du film Modigliani dans les intérieurs de Paul Guillaume, réalisé grâce à des photographies d’archives et évoquant les différentes adresses de Paul Guillaume tout au long de sa vie. Les œuvres de Modigliani, parmi celles de Picasso, Matisse, Renoir, Cézanne ou Derain, y occupent une place de choix.
Photos l’Agora des Arts.