La momification a été pratiquée sur tous les continents depuis des millénaires, révélant le désir de mémoire et d’éternité des humains hantés par la mort et la disparition. Elle a aussi suscité une véritable fascination, notamment au 19e siècle. Les européens se livrant à une course effrénée aux fouilles archéologiques, développant le commerce des corps momifiés conduisant parfois même à la réalisation de faux, pratiquant des « débandelettagess » de momies en présence de public, accueillant des dépouilles comme celle de Ramsès II, en 1976 à Paris, comme un chef d’État…Inspiratrices d’un grand nombre d’œuvres et de récits, on retrouve les momies dans les films, séries, livres, bandes dessinées et jusque dans les figurines Playmobil.
Dans une passionnante exposition, le musée de l’Homme retrace l’évolution des pratiques (les plus anciens corps momifiés connus à ce jour datent de 9 000 ans et appartiennent à la culture des Chinchorros, sur un territoire situé entre le Pérou et le Chili actuels), des techniques (de l’embaumement des anciens égyptiens à la conservation par injection au 19e siècle en passant par la dessication au soleil), des rites (comme la cérémonie du Ma’nene en Indonésie, chaque année en juillet et août, durant laquelle les familles ouvrent les cercueils et honorent les défunts en les lavant et changeant leurs habits) et des législations à travers les époques et les différentes régions du monde.
À la rencontre des défunts momifiés
Momie, ce mot venant de l’arabe mumya qui désigne un baume de poix et bitume appliqué sur les corps des défunts pour les conserver et devenu au 16e siècle le nom du corps préservé lui-même, renvoie aussi à une certaine classe sociale. Dans la plupart des cas, la pratique est réservée à un petit nombre d’individus issus d’une élite ou d’une classe sociale spécifique.
Neuf corps momifiés exceptionnels, pour la plupart conservés par le Muséum -qui en possède 70- sont présentés au fil du parcours. « Ces corps ne sont pas des objets : ce sont des témoins » insiste Aurélie ClementeRuiz, directrice du Musée de l’Homme. Leur vie et leur parcours post-mortem ont été reconstitués, dans la mesure du possible, dans une volonté éthique de respect envers ces restes humains dont certains sont bouleversant de « présence ». Telle cette Jeune fille de Strasbourg habillée d’une robe précieuse en soie et dentelle, les mains baguées croisées sur le ventre, le crâne couvert d’un bouquet de fleurs artificielles et dont on ignore l’identité sur laquelle une équipe de chercheurs planche depuis plusieurs années. Mais les recherches scientifiques sur ses os, son ADN, ses bijoux et son vêtement nous révèlent en revanche qu’elle devait être âgée de 7 à 11 ans, qu’une anomalie des sutures crâniennes explique sans doute un décès d’origine pathologique, qu’elle vivait au 17e siècle et qu’elle avait les yeux bleus. Fascinant aussi L’Homme Chachapoya originaire des Andes péruviennes, mort entre ses 20 et 30 ans d’une maladie infectieuse pulmonaire ou d’une septicémie, a été momifié nu enveloppé dans un fardo de tissu et placé dans un sarcophage conique en tête glaise surmonté d’une tête anthropomorphe. Il est entré dans les collections du musée d’Ethnographie du Trocadéro (devenu musée de l’Homme), en 1879. Se tenant la tête entre les mains, la bouche ouverte, il est réputé pour avoir inspiré de célèbres artistes comme Gauguin pour Eve Bretonne en 1889 ou Edvard Munch pour Le Cri en 1893.
Techniques et rites de momification
Le spectaculaire essor de l’archéologie, de la science et des techniques de l’imagerie ou de la biochimie permet de reconstituer le passé de ces corps, le mode de vie des individus qu’ils furent, leur alimentation, leurs déplacements, leur niveau de vie, leur pratiques esthétiques, leur santé, leurs croyances et les rituels funéraires de la société dans laquelle ils ont vécu. L’exposition enrichie d’objets funéraires et de documents scientifiques constitue aussi une réflexion en profondeur sur la manière d’exposer des défunts. Elle est complétée de manière très pertinente d’œuvres d’artistes contemporains inspirés par le sujet. Parmi les plus émouvantes, trois photographies de Sophie Zénon (née en 1965) issues de la série In case we die / Au cas où nous mourrions, 2008, qui immortalisent une seconde fois des défunts momifiés de la crypte des Capucins de Palerme (Sicile). Des portraits rendus saisissants par l’effet de flou et le traitement de la lumière. Entre absence et présence.
Catherine Rigollet











