Ecorché vif habité par la fureur de peindre, se colletant avec la peinture jusqu’au vertige, toujours insatisfait de son travail, Nicolas de Staël (1914-1955) était aussi un artiste d’une grande liberté qui créa un langage entre abstraction et figuration, dans un jaillissement de couleurs et de lumière. La Fondation Pierre Gianadda lui consacre, pour la deuxième fois depuis 1995, une importante rétrospective avec une centaine d’œuvres réunies par Jean-Louis Prat qui éclairent tout particulièrement les dix dernières années de sa vie.
De 1945 à 1955, de Staël passe de la pauvreté à une gloire écrasante, de traits et d’ellipses dans une palette sombre à des aplats de tons éclatants qui transgressent les codes. Dans le même temps, sa matière généreuse se fluidifie, abstraction et figuration se confrontent de plus en plus. De Staël travaille avec acharnement, sur plusieurs toiles à la fois, dans un perpétuel dépassement de soi. Un duel se joue entre évidence et incertitude. À côté des paysages, des natures mortes, des joueurs de foot et des musiciens, des nus surgissent aussi qui hantent son univers pictural comme les témoins muets d’un amour sans issue. À la lecture des lettres que de Staël envoie à son marchand Jacques Dubourg, au collectionneur Douglas Cooper, à son amie de jeunesse Madeleine Haupert, une évidence s’impose : de Staël vit un enfer, celui du doute et de l’impuissance à satisfaire sa soif d’absolu. Mi-mars, il s’attaque au Concert, une toile immense de 3,50 x 6 m (Musée Picasso, Antibes) où figurent sur un fond rouge, la masse sombre d’un piano, celle ocre d’une contrebasse et une multitude de pupitres et de partitions d’un blanc-gris. Il ne le terminera pas. Le 16 mars, à 39 ans, il se donne la mort, laissant une œuvre magistrale et l’énigme d’une vie engloutie dans la passion de peindre et peut-être d’aimer.
Catherine Rigollet