Niki de Saint Phalle, Jean Tinguely et Pontus Hulten

Couple mythique, Niki de Saint Phalle (1930 – 2002) et Jean Tinguely (1925 -1991), dont 2025 marque le centenaire de la naissance, étaient unis par un lien artistique indéfectible et une vision commune de la création comme acte de rébellion contre les normes établies. Une exposition inédite retrace l’itinéraire prolifique de ces deux artistes à travers la figure de Pontus Hulten (1924 – 2006), premier directeur du Musée national d’art moderne au Centre Pompidou, qui partageait leur conception d’un art disruptif, pluridisciplinaire et participatif et leur a offert un soutien inconditionnel.

Dans les nouveaux espaces restaurés et agrandis du Grand Palais (côté place Jean Perrin), le parcours organisé sur plusieurs galeries et deux étages est assez vaste pour accueillir des œuvres majeures -et souvent imposantes- de Jean Tinguely et de Niki de Saint Phalle, réunies grâce à la richesse de la collection du Centre Pompidou, associée à des prêts majeurs d’institutions nationales et internationales. Mais le fil rouge de l’exposition conçue par Sophie Duplaix, réside surtout dans la mise en lumière du rôle de Pontus Hulten (1924–2006), historien de l’art suédois et premier directeur de Beaubourg, dans la promotion des œuvres du couple tout au long de leur carrière. « Amour et amitié, audace, défis lancés à l’un ou à l’autre, influences réciproques, ou encore solidarité dans l’épreuve, ont été autant de moteurs pour le développement du parcours exceptionnel de chacun des trois protagonistes », souligne la commissaire.

Pontus Hulten, une carrière au service des artistes

Les nombreux et précieux documents présentés (films d’archives, correspondances, photographies) racontent l’histoire de la rencontre à Paris, en 1954, entre Hulten -alors en poste au Nationalmuseum de Stockholm- et le Suisse Tinguely installé en France depuis 1952. Fasciné par son œuvre fondée sur l’intégration du mouvement et en interaction avec le public, Hulten va dès lors s’employer à la faire connaître, tout comme il va défendre celle de Niki de Saint Phalle, la nouvelle compagne de Tinguely dont il fait la connaissance à la fin des années 1960 ; il est alors directeur du Moderna Museet de Stockholm. Appelé à Paris en 1973 pour œuvrer à la préfiguration du Centre Pompidou, avant d’en prendre la direction à son ouverture en 1977, Pontus Hulten continue de promouvoir le travail de ses deux amis artistes, les accompagnant aussi dans leurs œuvres à quatre mains comme leur monumentale Hon, femme-déesse de la fertilité (1966) dans laquelle le public pénètre pour accéder à toutes sortes d’attractions.
Hulten favorise l’acquisition par les institutions d’œuvres majeures des deux artistes et organise des expositions et des rétrospectives, celle de Niki de saint Phalle en 1980, celle de Tinguely en 1988. C’est aussi lui qui orchestre la réalisation de la joyeuse Fontaine Stravinsky (face au Centre Pompidou), et c’est aussi grâce à lui que Niki de Saint Phalle parachève, après la mort de Tinguely la réalisation du Cyclop, ce drôle de monstre de métal visitable ponctué d’œuvres d’amis artistes, niché au cœur des bois de Milly-la-Forêt, près de Paris. C’est encore lui qui, avec l’aval de Niki de Saint Phalle (qui a épousé Tinguely en 1971) ouvre à Bâle en 1996 un musée dédié à Tinguely. Niki de Saint Phalle lui rendant aussi hommage avec Les Tableaux éclatés, composés de formes découpées mises en action par des dispositifs motorisés au passage des spectateurs, tel Jean II (Méta-Tinguely), 1992.

Un triple parcours de vie et de création rebelle

C’est ce triple parcours de vie et de création rebelle que l’exposition retrace en 9 chapitres. De la rencontre à l’épilogue en passant par le retour sur les expositions majeures et les rétrospectives, on (re)découvre les œuvres de Tinguely, succession de machines extraordinaires, fantasques et inutiles, à rebours de l’idée même de progrès technologique, mais d’une joyeuse poésie, se mettant parfois bruyamment en mouvement, comme le Ballet des pauvres (1961) ou L’Enfer, un petit début (1984). Et celles de Niki de Saint Phalle, aussi emblématiques et tout aussi puissantes, comme son Aveugle dans la prairie (accompagné de sa vache), de 1974 ou sa Mariée constellée de petits jouets dérisoires et transformée en inquiétant spectre blanc incarnant la souffrance de la femme prisonnière des conventions sociales. Une révolte et une violence qui éclatent dans ses Tableaux de tirs dégoulinants de peinture, une performance suggérant avec un humour caustique son désir d’assassiner l’ordre établi et la société patriarcale, autant qu’un acte thérapeutique (le viol qu’elle a subi par son père). Même ses Nanas, aux couleurs éclatantes et à l’apparente frivolité cachent des déesses ou des mères dévorantes.

En 1993, Niki de Saint Phalle part s’installer aux États-Unis, où elle a grandi. Elle choisit la Californie pour son climat favorable à ses problèmes pulmonaires. Jusqu’à sa mort en 2002, elle reste étroitement en contact avec Hulten, qui décède à son tour en 2006, laissant derrière lui l’image d’un conservateur de musée d’exception, inlassable défenseur des artistes. Pour la commissaire, « Pontus Hulten reste une figure de référence majeure pour le Centre Pompidou : sa muséographie innovante, ses expositions transdisciplinaires au format inédit, son rapport à l’œuvre et au grand public, ont gravé son action dans l’histoire ».

Catherine Rigollet

Archives expo à Paris

Infos pratiques

Du 26 juin 2025 au 4 janvier 2026
Grand Palais
Galeries 3 et 4 (entrée Square Jean Perrin)
Du mardi au dimanche, 10h-19h30
Nocturne le vendredi jusqu’à 22h
Tarif plein : 15€
www.grandpalais.fr


Visuels :

 Niki de Saint Phalle, Pontus Hulten et Jean Tinguely au cours d’un dîner dans la maison-atelier des artistes, Essonne, septembre 1982. Photo © Estate Leonardo Bezzola.

 Jean Tinguely, L’Enfer, un petit début, 1984. Métal, objets et matériaux divers, moteurs électriques. 370 × 920 × 700 cm. Centre Pompidou, Achat 1990. Photo l’Agora des Arts.

 Jean Tinguely, Cyclograveur, 1960. Exposition « Rörelse i konsten », Moderna Museet, Stockholm (17 mai-3 septembre 1961) © Adagp, Paris, 2025. Photo : Lennart Olson © Lennart Olson/Hallands Konstmuseum.

 Niki de Saint Phalle, La Mariée, 1963. Plâtre, objets divers peints et textile sur grillage. Centre Pompidou. Achat de l’Etat en 1967 ; attribution en 1976. Photo L’Agora des Arts.

 Niki de Saint Phalle, L’Aveugle dans la prairie, 1974. Polyester peint au vinyle, armature métallique et grillage. Centre Pompidou. Achat 1980. Photo L’Agora des Arts.

 Niki de Saint Phalle, photo de la Hon repeinte, 1979. Peinture sur impression offset, 300 × 293 cm. Niki Charitable Art Foundation, Santee, Californie © 2025 Niki Charitable Art Foundation / Adagp, Paris. Photo © Niki Charitable Art Foundation. Tous droits réservés/Katrin Baumann © Hans Hammarskiöld/Hans Hammarskiöld Heritage.

 Jean Tinguely, Méta-matic no 17, 1959. Fer et bois peints, papier, encre, latex, moteur à carburant. 330 × 170 × 190 cm. Moderna Museet, Stockholm. Donation des Amis du Moderna Museet, 1965. © Adagp, Paris, 2025. Photo © Moderna Museet, Stockholm.