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Oscar Muñoz. « Protographies »

Le néologisme appliqué au travail de l’artiste colombien (né en 1951) n’est pas indifférent. Jouant avec le préfixe grec, prôtos-, il indique une antériorité à un accomplissement, ici le moment forcément éphémère qui précède (ou suit) l’éventuelle fixation de l’image sur son support.

S’étant affranchi des formats et techniques traditionnels, l’artiste s’attache dans son travail en noir et blanc (photos, dessins, vidéos, installations) non pas à capturer et fixer un instant décisif, mais à évoquer le moment qui précède la fixation ou la disparition du sujet, une façon toute personnelle d’explorer le processus de mémoire, ce qu’elle fait surgir ou ce qu’elle occulte. Pour ce faire, Oscar Muñoz expérimente de nouveaux supports : rideaux de douche imprimés au moyen d’un aérographe, taches de café sur morceaux de sucre, surfaces d’eau sur lesquelles flotte de la poussière de charbon, dalle de ciment en plein soleil où l’image dessinée par un pinceau trempé dans l’eau ne peut que s’évaporer, miroirs sur lesquels le souffle du spectateur amène un portrait éphémère qui remplace son propre reflet. Des mouvances, apparitions, évanescences, rapides ou infiniment lentes, dont certaines sont consacrées à ses autoportraits, les Narcisos.
Ses vidéos, elles, fixent la dissolution ou la reconstitution d’images dans des bains de développement. Surtout ne pas manquer l’émouvante vidéo familiale : gros plan sur le visage fatigué de son père, avec en arrière-plan, le visage de sa mère s’imprimant comme dans un rêve sur un rideau agité par la brise. Lorsque le père s’abandonne à fermer les yeux pour quelques secondes, l’image de la femme devient plus net, plus présent. Ces œuvres d’une technicité inédite et époustouflante sont poétiques, imaginatives, politiques peut-être (on ne peut s’empêcher de penser aux victimes de la “violencia” des années 50 en Colombie), philosophiques même. Elles impliquent, séduisent, poussent à la réflexion. Il faut les découvrir.

Elisabeth Hopkins

 À voir également au Jeu de Paume jusqu’au 21 septembre 2014, les photographies de Kati Horna (Szilasbalhási, Hongrie, 1912 / Mexico, 2000), retraçant plus de six décennies de production en Hongrie, en France, en Espagne et au Mexique de cette artiste qui fait partie de la génération de photographes hongrois (d’André Kertész à Robert Capa en passant par Eva Besnyö, László Moholy-Nagy, Nicolás Muller, Brassaï, Rogi André, Ergy Landau, Martin Munkácsi et bien d’autres) contraints de quitter leur pays en raison des conflits et de l’instabilité sociale des années 1930.

Visuel : Oscar Muñoz, Cortinas de Baño [Rideaux de douche], 1985-1986. Acrylique sur plastique, 5 éléments, 190 x 140 cm et 190 x 70 cm chaque, dimensions variables. Collection Banco de la República, Bogotá.
Oscar Muñoz, Aliento, [Souffle], 1995. Sérigraphie et graisse sur miroirs métalliques, 7 miroirs, diamètre : 20 cm chaque. Courtesy de l’artiste

Archives expo à Paris

Visuels de l'artiste
Infos pratiques

Du 3 juin au 21 septembre 2014
Jeu de Paume
1, place de la Concorde - 75008 Paris
Du mercredi au dimanche, de 11h à 19h
Le mardi, de 11h à 21h
Plein tarif :10 €
www.jeudepaume.org