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OK. l’enfant terrible de Vienne

Peintre, poète, essayiste et dramaturge, grand voyageur et précurseur de l’expressionnisme, Kokoschka l’enfant terrible de Vienne demeure méconnu en France. Cette grande rétrospective de 150 œuvres au musée d’Orsay est un événement.

L’enfant terrible de Vienne, c’est ainsi qu’Oskar Kokoschka (1886-1980) -qui signait simplement OK- est vu par la critique à ses débuts. Il faut dire que ses premiers nus torturés choquent, tout comme ses portraits de la société viennoise par leur expressionnisme, l’intensité des états d’âme qu’on perçoit dans leurs traits caricaturaux, l’empâtement de la touche, les griffures. Mais soutenu par Gustav Klimt, son succès est grand au sein du milieu artistique viennois et son style tourmenté va influencer Egon Schiele. Kokoschka possède en outre un talent certain pour la provocation, se rasant notamment la tête pour ressembler à un bagnard. La puissance subversive des œuvres des années 1904-1916 et l’acuité de son regard sur les personnages qu’il portraitise sont fascinants.

Peintre, Oskar Kokoschka est aussi écrivain et affirme sa liberté d’opinion dans ses textes de dramaturge et de poète comme Les Garçons qui rêvent (1908), un poème racontant l’éveil des adolescents à la sexualité, qu’il écrit et illustre. Il livre aussi ses propres tourments amoureux et sa conviction du rôle funeste des femmes dans le destin des hommes dans des œuvres comme Colomb enchaîné (1913) qui fait écho à sa liaison tumultueuse avec la compositrice Alma Mahler. Sa passion pour elle lui inspire différentes œuvres, notamment la célèbre La Fiancée du vent ; un tableau de 1913 non exposé à Paris. Leur liaison prendra fin avec la guerre mais l’obsédera longtemps. Exorcisme ou fétichisme, le peintre fera même réaliser une poupée grandeur nature à son effigie, se peignant en sa compagnie (Autoportrait au chevalet, 1922) et la promenant à l’opéra ou au bistrot...

Engagé durant la guerre, deux fois grièvement blessé, Kokoschka va traverser une phase de profonde dépression que l’on ressent dans ses dessins de scènes de guerre et de pillage croqués d’un trait rapide. Soigné à Dresde, il enseigne et comme apaisé, peint des paysages aux tonalités vives, à la matière fluide, aux touches presque impressionnistes qui contrastent avec les œuvres antérieures, telles ces vues joyeusement colorées de l’Elbe qui surplombe son atelier (Dresde, Neustadt V et VII, 1921-1922).
Puis il voyage en Europe, séjourne à Paris et Londres, peint des paysages urbains dans cette même veine avant de s’installer à Prague en 1934, alertant contre la montée du nazisme, se peignant en artiste dégénéré, comme un défi, avant de s’exiler en Angleterre en 1938. Il va y peindre des œuvres allégoriques et d’une forte intensité dramatique sur le basculement de l’Europe dans la guerre. Horrifié par les accords de Munich en 1938, il met en scène dans L’œuf rouge les acteurs de cet événement avec au loin Prague qui brûle. Il réalise de nombreuses affiches affirmant son pacifisme qu’il fait placarder dans les rues.

Opposant à l’art abstrait, résolument figuratif, Kokoschka ne cessera de remettre en jeu sa peinture. On peut être heurté par les toiles des dernières années, la violence des formes, la crudité de couleurs, parfois la vulgarité des scènes, mais le fauve de Vienne avec son art incisif et rebelle, son audace et sa croyance inébranlable dans la force de la peinture, est toujours là. Son dernier autoportrait réalisé en 1971, une silhouette nue qui se contorsionne face à la mort qui entrebâille la porte (Time, Gentlemen Please / C’est l’heure messieurs on va fermer, selon l’expression prononcée à l’heure de fermeture des pubs anglais) annonce déjà les Nouveaux Fauves (ou néo-expressionnistes), cette génération d’artistes allemands d’après-guerre (Baselitz, Immendorf, Kippenberger, A.R. Penck…) revenus à la peinture figurative, en adoptant un style violemment émotif, et une iconographie volontairement provocatrice.

Catherine Rigollet

Visuels : Oskar Kokoschka, Autoportrait, 1917. Huile sur toile, 79 x 63 cm. Von der Heydt-Museum, Wuppertal.
Oskar Kokoschka, Dresde, Neustadt V, 1921. Huile sur toile. Jérusalem Israël - Museum.
Oskar Kokoschka, Anschluss – Alice au pays des merveilles, 1942. Huile sur toile, 65,5 x 73,6 cm. Wiener Stadtische Versicherung AG. Vienna insurance Group en prêt permanent au Leopold Museum, Vienne.
Oskar Kokoschka, Time, Gentlemen, Please, 1971-1972. Huile sur toile, 130 x 100 cm. Tate, Londres.
Photos L’Agora des Arts, 22 septembre 2022.

Archives expo à Paris

Visuels de l'artiste
Infos pratiques

Du 23 septembre 2022 au 12 février 2023
Musée d’art moderne de Paris
11, avenue du Président Wilson 75116
Du mardi au dimanche, 10h-18h
Nocturne le jeudi jusqu’à 21h30
Tarif plein : 14€
www.mam.paris.fr


L’exposition sera présentée au Guggenheim Bilbao du 17 mars au 3 septembre 2023.