Le Chat et le Rat, Le Renard, le Loup et le Cheval, Les deux Rats, le Renard et l’œuf…parmi les œuvres du peintre animalier Jean-Baptiste Oudry (1686-1755) ses illustrations pour les Fables de La Fontaine ont pénétré notre imaginaire visuel et s’imposent comme un modèle de poésie et d’expressivité. Au pinceau, encre noire, lavis gris, rehauts blancs et toujours sur papier bleu -support emblématique des feuilles d’Oudry-, il les a toutes illustrées. Au total, il a produit deux cent soixante-seize dessins entre 1729 et 1734, sans doute pour son seul plaisir de peindre, car il ne les vend pas, mais les montre toutefois aux amateurs et futurs commanditaires dans son atelier, comme pour assurer sa promotion. Reproduits en gravure et largement diffusés, copiés, réinterprétés, ces dessins ont largement contribué à la notoriété d’Oudry, surnommé par certains « Le La Fontaine de la peinture ». Mais il était beaucoup plus que cela. Oudry a fait de la peinture animalière un genre à part entière, attribuant aux animaux une place d’honneur en les centrant dans toutes ses compositions, qu’ils soient sauvages ou domestiques. Représentés à la chasse, en portrait ou au combat, les animaux d’Oudry sont devenus des références du règne animal en images.
DESSINER COMME UN PEINTRE
Formé auprès de son père, Jacques Oudry, peintre et marchand de tableau, il étudie ensuite dans l’atelier de l’artiste Nicolas de Largillière et débute comme portraitiste avant de s’adonner à d’autres genres. Notamment comme peintre d’histoire à l’Académie royale de peinture où il est reçu en 1719. Mais très vite, le monde animal va le passionner. Il travaille d’après nature, lorsqu’il traverse les forêts en se rendant à Beauvais où il a été nommé peintre de la manufacture royale de tapisserie de Beauvais, ou au cours des chasses. Comme celles de Louis-Henri de Bourbon, septième prince de Condé (1692-1740) qui commande à Oudry trois grandes peintures pour le château de Chantilly, en 1725. Elles représentent une chasse au renard, une chasse au chevreuil et une chasse au loup si fascinante par le naturalisme de la crinière hérissée du loup. Repéré par le roi Louis XV pour ses scènes aussi violentes que subtiles, Oudry est chargé de neuf cartons monumentaux des Chasses royales, destinés à être traduits en tapisserie. Dans un délicat petit dessin préparatoire sur papier brun, le peintre illustre notamment le roi Louis XV tenant un limier au carrefour du Puits solitaire, dans la forêt de Compiègne (vers 1738). Oudry peint avec un pinceau virtuose qui n’a à l’époque comme concurrent que celui d’Alexandre-François Desportes (1661-1743), autre peintre de chasses royales. Toutefois, contrairement à son aîné, Oudry aborde la représentation de certains animaux comme il le ferait pour un modèle humain, s’éloignant d’une stricte volonté d’imiter la réalité, leur conférant une véritable intensité psychologique. Un procédé encore plus évident dans ses illustrations des Fables.
OUDRYMANIA
Les trois tableaux d’Oudry (dont, après leur dispersion à la Révolution, deux sont revenus à Chantilly, le troisième – la Chasse au chevreuil- conservé au musée des Beaux-arts de Rouen) sont exposés côte à côte au château de Chantilly à l’occasion de l’exposition Oudry/Oudrymania. Mais l’exposition met surtout en évidence l’art du dessin chez Oudry, exposant de nombreuses feuilles illustrant les Fables de La Fontaine, mais aussi des dessins de chiens, de combats d’animaux, y compris exotiques ; lion, léopard, éléphant, tigre et singe étudiés par Oudry à la Ménagerie royale de Versailles (démolie au XIXe siècle). Des dessins qu’il réalise comme un peintre. « Des qualités picturales qui rendront d’ailleurs ses illustrations de Fables impossibles à reproduire directement en gravure et qu’il faudra faire redessiner par Charles-Nicolas Cochin pour en faire ressortir les contours », explique Baptiste Roelly, conservateur du patrimoine au musée Condé et commissaire de l’exposition. Les lissiers des Gobelins et de Beauvais rencontreront les mêmes difficultés à recréer l’effet de ses peintures en tapisserie.
Les Fables restent une part importante dans l’œuvre d’Oudry et la diffusion des gravures, leur succès public sont tels que les arts décoratifs vont s’emparer de ses illustrations. On les retrouve sur des garnitures de fauteuil, des panneaux de boiseries, du papier peint, des pièces de porcelaine. Et jusqu’au-delà de l’Atlantique, servir de référence au célèbre artiste et naturaliste américain John James Audubon (1785-1851). Réunissant dessins, peintures, objets d’art et livres rares issus pour la plupart de collections privées, cette exposition éclaire toutes les facettes du talent d’Oudry et le phénomène d’Oudrymania qu’il a provoqué.
Catherine Rigollet