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Paul Strand ou l’équilibre des forces

Alors que Paul Strand (1890-1976) est souvent célébré comme pionnier du formalisme, la Fondation Henri Cartier-Bresson revient également sur la dimension profondément politique de son travail. Deux tendances qu’il saura parfaitement associer.

En 1917, Alfred Stieglitz (1864-1946) consacre en 1916 et 1917 deux des derniers numéros de sa fameuse revue Camera Work à la présentation du travail d’un jeune photographe américain dénommé Paul Strand (1890-1976) qui a rompu avec le pictorialisme, c’est-à-dire une photographie encore très influencée par la peinture. Il revendique l’autonomie de ce médium pouvant être un art à part entière et organise alors son travail entre abstraction (Bowls, 1916), paysages urbains (Wall Street, New York, 1915) et portraits (Blind woman, New York, 1916) dans un face à face radical. Si Stieglitz, chantre enthousiaste d’une photographie pure, objective, sans artifice devient le premier mentor de Strand, ce dernier va très vite être influencé par un second, Lewis Hine (1874-1940) photographe engagé, utilisant la photographie pour défendre les causes auxquelles il tient.

Paul Strand fera de même toute sa vie comme le révèlent ses séries de reportages réalisées au Mexique en 1932-1934 perçu à l’époque comme le pays de la Révolution accomplie ; en Italie en 1953 pour y rencontrer à Luzarra, une communauté villageoise qui a fait preuve de résistance pendant le fascisme ; en Égypte en 1959 pour documenter les réformes agraires et les grands travaux du nouveau régime de Nasser ; ou encore au Ghana en 1963, séduit par la nouvelle politique socialiste du président Nkrumah…Ses images silencieuses et graves, d’une grande précision du détail, d’une rigueur du cadrage, combinent parfaitement beauté formelle et dimension sociale.

C’est depuis la France, où il s’est installé en 1951 pour fuir le climat délétère du maccarthysme que Paul Strand organise ses voyages. Car son home est désormais à Orgeval (Yvelines), dans une maison où il va s’adonner au jardinage, tel Claude Monet à Giverny. Il y jardine aussi avec ses yeux, photographiant à longueur d’années les arbres, les plantes, les mousses, les champignons et les fleurs.
Il parcourt également la France, se passionnant pour le visage de cette France rurale de l’après-guerre qui passe du cheval au tracteur. C’est là qu’il rencontrera Claude Grijalvas, dans un village de Charente, en 1951. Un jeune homme qui lui offrira sa photographie sans doute la plus iconique. Si elle est frappante, c’est que le garçon ne sourit pas, son regard noir fulmine, sa mâchoire serrée dit aussi sa colère. Mais dans cette image silencieuse et grave, Paul Strand lui a en quelque sorte donné la parole. « Où que je me trouve, dans le Sud-Ouest, au Mexique, dans un village italien, au Ghana, en Égypte ou sur les Îles des Hébrides extérieures, je cherche les signes d’un long partenariat qui donne à chaque endroit ses caractéristiques et crée le profil de ses habitants ».

Pilier de la diffusion de ses photographies, Paul Strand publiera un livre sur chacun de ses voyages, le premier en 1945, le dernier en 1976. Pour montrer l’importance de cette forme de diffusion, c’est autour de six livres associant images et textes d’écrivains engagés avec lesquels Strand collaborait que Clément Chéroux, nouveau directeur de la fondation Henri Cartier-Bresson depuis novembre 2022 a structuré le parcours de l’exposition. Elle présente près de 120 tirages issus des collections de la Fundación MAPFRE (Madrid), complétés de photographies prêtées par le Centre Pompidou, ainsi que du film Manhatta réalisé par Paul Strand et Charles Sheeler en 1921 ; un portrait de New York de sept minutes qui témoigne de la passion de Strand pour le cinéma, qui faillit même interrompre sa carrière de photographe.

Cela faisait plus 25 ans qu’une rétrospective Paul Strand n’avait pas été programmée en France, on se félicite de cette initiative de la fondation Henri Cartier-Bresson de nous faire redécouvrir les œuvres de ce pionnier de la photographie moderne.

Catherine Rigollet

 À voir aussi à la Fondation HCB, du 14 février au 23 avril 2023 : Henri Cartier-Bresson, Helen Levitt.
Un dialogue inédit entre les photographies mexicaines de Helen Levitt (1913-2009) et celles de Henri Cartier-Bresson (1908-2004). Les deux photographes se rencontrent à New York au printemps 1935. Henri Cartier-Bresson vient de passer presque un an au Mexique et la photographe américaine commence tout juste à photographier le théâtre de la rue new-yorkaise. En 1941, fascinée par les photographies du Français, Helen Levitt choisit la même destination. Ces deux périples au Mexique s’avèrent décisifs au début de leurs longues carrières, Henri Cartier-Bresson et Helen Levitt y forgeant leurs conceptions respectives de la photographie. On est frappé par la ressemblance de leur style et leur communauté de regards.

Archives expo à Paris

Visuels de l'artiste
Infos pratiques

Du 14 février au 23 avril 2023
Fondation Henri Cartier-Bresson
79 rue des Archives 75003
Du mardi au dimanche, 11h-19h
Tarifs : 10€/6€
https://www.henricartierbresson.org


Visuels : Paul Strand, Blind Woman, New York, 1916. © Aperture Foundation Inc., Paul Strand Archive. Fundación MAPFRE Collections.
Paul Strand, Wall Street, New York, 1915 © Aperture Foundation Inc., Paul Strand Archive. Fundación MAPFRE Collections.
Paul Strand, The Lusetti Family, Luzzara, Italy, 1953 © Aperture Foundation Inc., Paul Strand Archive. Fundación MAPFRE Collections.
Paul Strand, Young Boy, Gondeville, Charente, France, 1951. © Aperture Foundation Inc., Paul Strand Archive. Fundación MAPFRE Collections.