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Peintres femmes au XVIIIe siècle. Un combat pour la reconnaissance

Si les noms d’Elisabeth Vigée-Lebrun et de Marguerite Gérard qui ont exercé entre la fin du XVIIIe et le début du XIXe siècle sont restés dans l’Histoire de l’art, qui se souvient des peintres Angélique Mongez, Adélaïde Labille-Guiard ou Hortense Haudebourt-Lescot ? Pourtant, entre 1780 et 1830, comme des dizaines d’autres, elles sont parvenues à accéder aux formations de peinture, à se professionnaliser et à jouir d’une certaine renommée publique. Même si elles furent « empêchées » au nom de leur genre, nombre d’entre elles ont pu bénéficier à l’époque d’une certaine notoriété qui contredit l’invisibilité dont le récit dominant de l’histoire de l’art les a frappées jusqu’à une période récente. En s’attachant à cette période, entre les années prérévolutionnaires et la Restauration où en France comme en Europe se multiplient les artistes femmes de renom, cette exposition met en lumière, au travers d’une quarantaine d’artistes et de quelque 70 œuvres exposées provenant de collections publiques et privées françaises et internationales, les conditions historiques, culturelles et sociales qui leur ont permis d’accéder à la reconnaissance.

En 1783, Élisabeth Vigée Le Brun et d’Adélaïde Labille-Guiard sont reçues à l’Académie royale de peinture. Prudente, l’Académie a toutefois limité à 4 le nombre des femmes admises ! Et certes, Élisabeth Vigée Le Brun (1755-1842) est déjà renommée. Mais l’élan est donné. Formée par son père pastelliste, Élisabeth dessine depuis l’enfance, sur ses cahiers d’écriture et jusque sur le sable racontera-t-elle. « Tu seras peintre, mon enfant, ou jamais il n’en sera », lui dit son père lorsqu’elle lui montre à l’âge de sept ou huit ans un portrait d’homme à barbe. Sa carrière décolle à 15 ans. Ses portraits saisissants et flatteurs de membres de la haute société lui ouvrent les portes. À 24 ans, elle fait celui de Marie-Antoinette ; le premier d’une longue série car elle devient « peintre officiel » de la reine et son grand portrait d’elle entourée de ses enfants, réalisé en 1787, est l’un des plus célèbres. Contrainte à l’exil pendant la Révolution française, Élisabeth Vigée Le Brun voyage à travers l’Europe, peint les plus belles femmes de l’Italie à la Russie, transformant cet exil de 12 ans en un parcours artistique des cours européennes qu’elle relate dans ses passionnants Souvenirs publiés entre 1835 et 1837 (édités en 2 tomes par les éditions des Femmes en 1984, on y trouve la liste des tableaux et portraits exécutés par l’artiste, année par année et par lieux).

Parmi les meilleurs portraitistes de son temps, sans cesse comparée à Élisabeth-Louise Vigée-Lebrun sa concurrente, Adélaïde Labille-Guiard (1749-1803) va aussi voir sa carrière prospérer grâce à son entrée à l’Académie. Forte de sa nouvelle position, et en réformiste, elle s’engage dans le combat pour l’accès à l’éducation artistique des femmes et une parité au sein de l’Académie. Pédagogue convaincue, elle crée à son domicile un atelier de jeunes femmes qu’elle héberge pour certaines sous son toit. Son exceptionnel Autoportrait entourée de deux de ses élèves (New York, Metropolitan museum of Art), salué au Salon de 1785, témoigne de son enseignement à des femmes. Ses portraits de Mesdames, tantes du roi, et de Mme Élisabeth, sœur du roi (Versailles, musée national des châteaux de Versailles et du Trianon) lui valent une célébrité accrue et le titre de « peintre des Mesdames » en 1787.

Sans doute Marguerite Gérard (1761-1837) a-t-elle bénéficié d’être la belle-sœur du peintre Jean-Honoré Fragonard (1732-1806). Installée à Paris depuis le milieu des années 1770, dans l’appartement même de Fragonard au Louvre, elle devient son élève, puis son assistante. À la fin des années 1780, alors que la gloire de Fragonard faiblit, la jeune Marguerite lance sa carrière en solo. Elle entreprend une série de portraits intimistes, de petit format, représentant son cercle familial, les amis artistes, les connaissances et les relations de Fragonard. Marguerite Gérard adopte des stratégies différentes de celles des autres femmes de sa génération, notamment en confiant ses œuvres à deux des marchands d’art les plus expérimentés des années 1780, Jean Dubois et Goury de Champgrand. Elle exploite également le marché de l’estampe pour asseoir sa réputation…et sa fortune. Parmi toutes les artistes de sa génération, c’est l’une de celles qui a le mieux réussi.

On reste essentiellement dans le portrait et les scènes d’atelier vous direz-vous. Certes les femmes s’adonnent peu à la peinture d’Histoire. Élisabeth Vigée Le Brun n’a peint qu’une dizaine de tableaux d’Histoire contre 660 portraits. Le paysage commence à percer. Louise-Joséphine Sarazin de Belmont fait un peu exception avec ses nombreuses vues d’Italie, tout comme Élisabeth Vigée Le Brun qui a réalisé une centaine de peintures et pastels lors de ses voyages à Naples, Vienne, Londres et en Suisse. N’oublions pas que l’étude du nu, préalable indispensable au grand genre, est en principe interdit au « sexe faible » car contraire à la morale. Comme l’est la mixité que favorise l’ouverture croissante des ateliers de formation aux demoiselles. Mais le débat est ouvert, fait rage, se politise. La Révolution va envoyer l’Académie royale aux oubliettes en 1793. Si rien n’empêche désormais les femmes d’exercer professionnellement ni d’exposer, elles ne sont qu’une trentaine dans les salons révolutionnaires, elles seront deux cents au milieu des années 1820 ; la plupart issues de classes favorisées.

Le chemin est encore long, surtout pour les femmes issues de milieux modestes, telle Marie-Gabrielle Capet, fille de domestique, ou qui n’ont pas un peintre comme géniteur à l’instar d’Ana Geneviève Greuze (1762-1842) qui formée par son père, Jean-Baptiste Greuze, ouvre un atelier de jeunes femmes au Louvre dans les années 1770, et peint des scènes de genres et des portraits. Dans ce combat contre l’oubli, Martine Lacas, commissaire de l’exposition, redonne toute leur place à des dizaines d’autres femmes telles Marie-Victoire Lemoine (1754-1820) et ses peintures sur porcelaine ; Rosalie Caron (1791-1860) représentante de la peinture de style troubadour ; Isabelle Pinson (1769-1855) à qui l’on doit le très original portrait d’un jeune Attrapeur de mouche (1808) ; une œuvre presque métaphysique sur la présence au monde et au temps. Ou encore Angélique Mongez (1775-1855), critiquée pour son opiniâtreté à pratiquer le genre « viril » de l’histoire, mais qui persista à réaliser de grandes compositions dans l’esprit de Jacques-Louis David son maître. On admirera son audacieux Thésée et Pirithoüs délivrent deux femmes des mains de leurs ravisseurs (1806), réalisé avec des craies noire, blanche, bleue et ocre sur papier ivoire ; un dessin préparatoire qui fait aussi la part belle à l’étude du nu chez une femme, objet de vifs débats. Autant de femmes qui ont pu dire : « moi, peintre ».

Catherine Rigollet

Archives expo à Paris

Visuels de l'artiste
Infos pratiques

Du 19 mai au 25 juillet 2021
Musée du Luxembourg
Du lundi au dimanche de 10h30 à 19h
Nocturne le lundi jusqu’à 22h
Plein tarif : 13 €
Tél. : 01 40 13 62 00
https://museeduluxembourg.fr


Visites virtuelles de l’exposition à partir du 8 avril 2021 sur le site www.grandpalais.fr
5 € la visite autonome avec audioguide.
9 € la visite guidée avec un conférencier de la Rmn - GP.


Visuels : Élisabeth Louise Vigée Le Brun (1755-1842), Autoportrait de l’artiste peignant le portrait de l’impératrice Maria Féodorovna, 1800. Huile sur toile, 78,5 x 68 cm © Saint-Pétersbourg, musée de l’Ermitage.
Adélaïde Labille-Guiard (1749-1803), Autoportrait avec deux élèves, Marie Gabrielle Capet et Marie Marguerite Carreaux de Rosemond, 1785. Huile sur toile, 210.8 x 151.1 cm. MET, New-York. (tableau non présenté dans l’exposition)
Marie-Denise Villers (1774-1821), Portrait présumé de madame Soustras laçant son chausson, 1802. Huile sur toile 146 x 114 cm. Paris, dépôt du musée du Louvre, département des Peintures, auprès du musée international de la Chaussure, Romans-sur-Isère.
Louise-Joséphine Sarazin de Belmont (1790-1870), Vue du Forum le matin, 1860. Huile sur toile, 60 x 82 cm. Don de l’artiste, 1865. Tours, Musée des Beaux-Arts de Tours © Musée des Beaux-Arts de Tours.