Vous consultez une archive !

Philippe Cognée. Peinture d’après et repeinture

Le musée Bourdelle, qui a rouvert le 15 mars 2023 après des travaux de sauvegarde et de consolidation de son bâtiment le plus ancien, consacre sa première exposition au peintre et sculpteur Philippe Cognée. Articulée autour de son « Catalogue de Bâle », un ensemble titanesque d’un millier de petits formats, réalisé entre 2013 et 2015, elle évoque aussi par ses têtes sculptées la figure tutélaire du géant Bourdelle, maître de ces lieux pleins de charmes qu’on revisite à chaque fois avec un immense plaisir.

En 1826, Ingres peint le portrait de l’épouse de Marin Marcotte de Sainte-Marie, fonctionnaire du Trésor. S’inspirant de ce chef-d’œuvre du musée du Louvre, Philippe Cognée (né en 1957, vit près de Nantes) en réalise une copie en 2014-2016, interrogeant la puissance iconique de l’œuvre première. Mais la stricte ressemblance est troublée par la technique revendiquée et bien éprouvée de Cognée pour explorer les notions d’image, de regard et de mémoire du visible : le passage du fer à repasser sur la peinture à l’encaustique, floutant l’image.

Initié au seuil des années 1990, son principe de « repeinture » sous-entend que l’on ne peint jamais ex nihilo, mais toujours après ou d’après. Il va donner lieu à de multiples créations de l’artiste, dont un projet ambitieux qui intègre aussi l’idée de rendre compte de l’hyper-marchandisation de la société, et de la saturation optique qu’elle induit (comme il l’a déjà fait avec son triptyque « Supermarché, 2003-2004), en prenant pour exemple la prolifération des œuvres lors de la foire d’art de Bâle. Pour cela, de 2013 à 2015, Cognée a produit un millier d’œuvres élaborées selon un même protocole : l’artiste, après avoir déchiré des pages issues des catalogues d’Art Basel, peint une copie de et sur la reproduction d’une œuvre – signée Georg Baselitz, Jeff Koons, Pablo Picasso, Alberto Giacometti, Marthine Tayou, Alice Neel, Joan Mitchell…ou d’un artiste moins célèbre, voire oublié. Un principe de copie d’une œuvre qui redevient une œuvre à part entière, frappée par la gestualité et par la singularité de l’artiste.
Contrecollées sur aluminium, ces petites œuvres sur papier (sans légende, format 21 x 29,7 cm) sont présentées dans l’exposition, côte à côte, au fil d’un long labyrinthe de 85 mètres. Le concept de Philippe Cognée est clairement expliqué dans la vidéo projetée au cœur du parcours (8,5 min). Mais en suivant cette frise interminable de petites œuvres, on sature devant tant d’images -de différentes qualités picturales- et on s’interroge surtout sur le plaisir qu’a pu prendre l’artiste à ces innombrables repeintures…

On appréciera -ou pas- le pari, et on se réjouira de retrouver en fin de parcours ses toiles monumentales de voluptueuses pivoines roses épanouies et de sensuelles et dansantes amaryllis blanches (2022). Le parcours est aussi ponctué de sculptures peintes à l’encaustique de Cognée. Des têtes en bois grossièrement taillées, qui ne sont pas sans réminiscences avec son enfance africaine et son admiration pour tous les archaïsmes qu’il partage avec Antoine Bourdelle, dont on prendra l’immense plaisir à redécouvrir l’œuvre puissante, lyrique, expressionniste et sans concession.. On ne manquera pas de se faufiler dans la cour arrière de l’atelier, habitée par de colossales sculptures un peu oubliées à l’ombre des bosquets sauvages. On visitera son atelier conservé pieusement en l’état. Et on poussera la porte du modeste appartement de l’artiste pour se plonger dans l’atmosphère intimiste de son mobilier et de ses œuvres très personnelles. Profitant des travaux, le musée Bourdelle a ouvert un café-restaurant, le Rhodia, dans l’ancien appartement de la fille du sculpteur. Une halte d’autant plus agréable dans cet écrin de calme et de verdure au cœur du quartier de Montparnasse.

Catherine Rigollet

 DANS LE MÊME TEMPS

« Contrepoint #10 Philippe Cognée »
Un ensemble d’œuvres inédites portant un regard aigu autant que subtil sur les Nymphéas.
Musée de l’Orangerie, Paris
Accrochage du 15 mars au 4 septembre 2023

« Philippe Cognée. Le réel sublimé »
Musée de Tessé, Le Mans
Exposition du 13 mai au 5 novembre 2023

Visuels : Philippe Cognée, Madame Marcotte de Sainte-Marie, d’après Jean Auguste Dominique Ingres, 2014-2016. Encaustique sur toile marouflée sur bois. Courtesy de l’artiste et de Templon, Paris-Bruxelles-New-York.
Vues du Catalogue de Bâle de Philippe Cognée, 2013-2015. Série d’environ 1000 pièces. Huile sur papier marouflé sur aluminium. Courtesy de l’artiste et de Templon, Paris-Bruxelles-New-York.
Philippe Cognée, Amaryllis 1, 2022. Encaustique sur toile marouflée sur bois.
Courtesy de l’artiste et de Templon, Paris-Bruxelles-New-York.
Photos ©L’Agora des Arts

Archives expo à Paris

Visuels de l'artiste
Infos pratiques

Du 15 mars au 16 juillet 2023
Musée Bourdelle
18, rue Antoine-Bourdelle 75015
Du mardi au dimanche, 10h-18h
Accès gratuit aux collections permanentes
Tarifs expo : 10€/8€
www.bourdelle.paris.fr