Quand il apprend que la guerre est imminente et que Paris risque d’être bombardée, Picasso hanté par Guernica, se réfugie à Royan début septembre 1939. Pourquoi choisir Royan ? Parce que sa compagne Marie-Thérèse Walter et leur fille Maya y sont en vacances et que c’est un lieu de refuge idéal loin du front. Parti de Paris le 1er septembre dans sa grosse Hispano-Suiza conduite par son chauffeur Marcel Boudin, il emmène avec lui sa nouvelle amie la photographe Dora Maar, son secrétaire et confident Jaime Sabartès, sans oublier son lévrier afghan Kasbek.
Cette station balnéaire huppée ne laisse alors rien présager de son bombardement en 1945. Entre septembre 1939 et août 1940, tout en faisant plusieurs allers-retours à Paris pour s’assurer que ses papiers sont toujours en règle et que les œuvres qu’il a stockées à Paris sont en sécurité, Picasso va remplir huit carnets de dessins au crayon et à l’encre, soit près de 700 œuvres. Tout au long de sa carrière, Picasso utilisera de tels carnets d’esquisses pour noter des idées visuelles, dont certaines renvoyaient à des œuvres réalisées précédemment, tandis que d’autres annonçaient des œuvres à venir.
Ses premiers dessins à Royan sont ceux de chevaux réquisitionnés par l’armée qui se dirigent vers l’abattoir situé tout près de la villa Gerbier des Joncs où il a d’abord installé son atelier avant d’en trouver un dans le nouvel immeuble Les Voiliers, doté d’une belle vue panoramique. Il dessine aussi des nus féminins et de très nombreuses têtes féminines déstructurées, tantôt celle de Marie-Thérèse, tantôt celle de Dora Maar. Il réalise aussi des esquisses de corridas, un thème omniprésent dans son œuvre. D’autres dessins sont liés à des œuvres exceptionnelles comme une étude pour le Buste d’une femme aux bras croisés derrière la tête. Aux Voiliers, l’artiste travaille également sur la grande composition Femme coiffant ses cheveux, qu’il achève en juin 1940. Prêtée par le Museum of Modern Art de New York, c’est l’une des pièces les plus importantes de cette exposition à Malaga qui reflète les recherches sur la forme et la composition des figures qui préoccupent Picasso à l’époque. Elle révèle aussi la façon dont la Seconde Guerre mondiale l’a affecté personnellement et artistiquement. Si certains dessins de l’époque Royan sont parfois d’une rare violence, Picasso peint aussi, depuis sa fenêtre des Voiliers, le célèbre Café des Bains avec ses stores rayés dans des tons lumineux et doux témoignant d’une provisoire douceur de vivre (Café à Royan, 15 août 1940. La villa Les Voiliers sera rasée lors du bombardement du 5 janvier 1945, réduisant aussi à néant la plus grande partie de cette perle de l’Atlantique.
Les carnets de Royan sont présentés à Malaga aux côtés d’œuvres que l’artiste réalisa dans la station balnéaire de la côte atlantique et de documents en lien avec cette période. Des dessins, des gouaches, des peintures, des photos et des poèmes qui révèlent une étape féconde de sa vie et de son parcours artistique.
L’exposition comprend également des photographies et peintures réalisées par Dora Maar dont des vues de Picasso dans son atelier.