Photographe du slow
La nuit, la lumière et l’espace sont les sources d’inspiration, d’expérimentation et de confrontation, mais surtout, d’épanouissement et de régénération de ce contemplatif qui aime « voyager slow ». Hors du temps même. Nous l’avons rencontré à l’occasion de son exposition à la Little Big Galerie à Paris (Du 7 novembre au 24 décembre 2024.
Au nord du cercle polaire, en Norvège, la météo aux Iles Lofoten est imprévisible. Lorsqu’ Alexis Pichot y débarque au bout de 2000 kilomètres de voyage, un vent violent s’ajoute aux averses de pluie et de neige qui tombent en permanence. Il fait froid et le chauffage du van aménagé loué sur place est défectueux. Son nom, Thor, était-il déjà un mauvais présage ? De cette déconvenue, de cette quête d’intimité avec la nature devenue isolement, de cette hostilité des éléments, de ce brouillard troublant la vue des somptueux paysages de montagnes plongeant dans la mer va pourtant naître Mon cœur en hiver, une série aussi belle qu’émotionnelle. Des photographies prises comme autant de « shoots d’endorphine » dès que de l’obscurité surgissait une lumière, perçant les nuages pour recomposer le paysage. Des images au grain épais, floutées par les flocons de neige, duveteuses, privilégiant l’émotion à la précision, pictorialistes.
NUIT ET BROUILLARD
Né à Paris en 1980, Alexis Pichot, ancien architecte d’intérieur, installé désormais dans la Drôme, s’est lancé en 2011 dans la photographie, en autodidacte. La nuit, la lumière et l’espace sont ses sources d’inspiration, d’expérimentation, de confrontation, d’épanouissement, de régénération même, surtout quand ce contemplatif qui aime « voyager slow », travaille dans la nature, en prenant son temps. Hors du temps même. C’est ce que l’on ressent face à une autre de ses récentes séries, Insula ; cette île (en latin), qui serait aussi le point de naissance de nos émotions dans les profondeurs de notre cerveau. De nuit, sous les reflets de la lune, en pose longue ou avec la lumière projetée par un petit drone survolant la mer, des rochers émergent du miroir d’eau noire, si immobile que rien ne semble l’habiter. Des photographies mystérieuses, d’une inquiétante tranquillité, tant par l’absence d’échelle que par la vie invisible en surface, mais que l’on sait dissimulée dans les profondeurs.
LA MER, LES ARBRES
Amoureux de la nature, des arbres tout particulièrement, Alexis Pichot a consacré deux récentes séries à leur abattage au bord des routes. Dans Résurgences (2023), il a documenté les Écureil.les, ces militants luttant contre le projet autoroutier de l’A69, devant relier Castres à Toulouse. Dans Les Gisants, il a immortalisé avec son drone des platanes centenaires allongés sur le sol, disposés comme des défunts. « Sur ce sujet, je n’avais jamais vu un tableau si troublant, si funeste que ces dix platanes centenaires allongés au sol, alignés, comme s’ils étaient fusillés », témoigne-t-il. Des arbres encore, et de leur protection, il en est question dans la série Marche céleste, témoignage de cinquante nuits d’immersions solitaires dans la forêt de Fontainebleau.
Appel de la forêt, appel de la mer, appel de la nuit…ces lieux d’expériences fortes et de solitude loin des humains, lui l’homme chaleureux, souriant et volontiers disert sur son travail de photographe, conforte un besoin de se confronter à l’immensité du monde, à lui-même sans doute aussi.
Catherine Rigollet (novembre 2024)