Rodin - Bourdelle. Un puissant corps à corps.

Rodin et Bourdelle réunis dans une exposition. Voilà un face à face entre deux géants de la sculpture qui a du sens. Si Antoine Bourdelle (1861-1929), de vingt ans le cadet d’Auguste Rodin (1840-1917) admirait son aîné, se rendant à Meudon pour étudier la technique de Rodin, ce dernier le considérait comme assez talentueux pour lui confier des dizaines de marbre à tailler pour lui ; comme le fit aussi Camille Claudel. Un travail que Bourdelle exécutera pendant quinze années, dans ses ateliers, aidé de ses propres praticiens et élèves, tout en travaillant pour ses propres commandes. De ce fait, il fut parfois en retard et volontiers indocile. Comme cette fois, où chargé de tailler le marbre du Buste de Rose Beuret (l’épouse de Rodin), Bourdelle entoure le visage d’un tissu semblable à un voile et en envoie la photographie à Rodin. Une initiative guère appréciée par le maître qui rembarre Bourdelle : « Je veux la copie fidèle du masque – sans plus – c’est moi qui fais mes compositions. Je n’ai pas demandé qu’on compose ! » À partir de mars 1908, Bourdelle qui vend beaucoup, cesse de travailler pour Rodin, s’affranchissant du maître et explorant d’autres voies.

À travers plus de 160 œuvres (dont 96 sculptures, prêts des musées Rodin et Bourdelle essentiellement), l’exposition montre le parcours de ces deux créateurs qui furent de grands dessinateurs, des amoureux de la matière et des corps, surtout féminins. En préambule, des photographies, des dessins offerts par Rodin à Bourdelle et des sculptures de Rodin par Bourdelle donnent une idée du poids de la filiation plastique. Puis l’exposition met en lumière leurs liens de travail exposant des œuvres de Rodin exécutées par Bourdelle (Eve Fairfax, Eve au rocher). Elle souligne ensuite leurs affinités esthétiques (refus du naturalisme et de la vraisemblance). Elle détaille leurs recherches parallèles sur : les corps et le monumental (leur deux imposants Adam exposés côte à côte), les corps en morceaux (série de mains et de torses élevés au rang d’œuvres à part entière), les masques et les socles.

Autant d’œuvres qui montrent aussi les divergences de leur univers plastique. Expressionniste et plein de pathos chez Rodin comme ses figures convulsives de La Porte de l’Enfer ou son Balzac transformé en monolithe dressé vers le ciel. Aussi puissant chez Bourdelle, mais avec un supplément d’âme qui prend toute sa mesure avec son Centaure mourant, entre extase et agonie. L’un de ses chefs d’œuvre, et sa sculpture la plus émouvante. Le parcours se termine sur une série d’hommes qui marchent sortis des mains de Rodin, Bourdelle, mais aussi de Giacometti et de Richier, soulignant le rôle de passeurs des deux géants de la sculpture qui ont ouvert la voie à une modernité dans laquelle nombre d’artistes se sont engouffrés.

Une passionnante exposition à la scénographie en blanc et rouge qui rythme le parcours installé dans la lumineuse extension contemporaine du musée Bourdelle créée par Christian de Portzamparc. L’occasion de (re)visiter les anciens ateliers où Antoine Bourdelle a vécu et travaillé et qui abritent plus de cinq cents plâtres, marbres, bronzes...D’entrer dans l’intimité de l’artiste en poussant la porte de son logement et de se laisser bercer par la poésie des jardins de sculptures.

Catherine Rigollet

Archives expo à Paris

Infos pratiques

Du 2 octobre au 2 février 2025
Musée Bourdelle
18, rue Antoine Bourdelle 75015
Du mardi au dimanche de 10h à 18h
L’accès aux collections permanentes est gratuit.
Les expositions sont payantes : 10€/8€
Tél. 01 49 54 73 73
https://www.bourdelle.paris.fr


Visuels :

 Auguste Rodin, Eve au rocher, Grande version, 1893-1906. Pierre calcaire exécutée par Antoine Bourdelle. Copenhague, Ny Calsberg Glyptotek.

 Auguste Rodin, Eve Fairfax, 1904-1905. Marbre exécuté par Antoine Bourdelle et Victor Peter. Paris musée Rodin. Donation Rodin, 1916.

 Antoine Bourdelle, Le Poète ou Le Jour et la Nuit, 1901, marbre. Paris, musée Bourdelle.

 Antoine Bourdelle, Héraklès, torse, 1909. Bronze. Fonte Godard, 1969. Paris musée Bourdelle.