Pour sa réouverture en 2021, le Quadrilatère de Beauvais consacre une exposition d’envergure à l’artiste et architecte mexicain Santiago Borja (né en 1970). S’il vit et travaille au Mexique, Borja entretient une relation particulière avec la France où il a vécu, étudié et séjourné régulièrement, s’imprégnant de sa culture. Santiago Borja, qui n’aime pas le mot « rétrospective », préférant parler d’un « état des recherches », nous livre donc ici quelque quarante projets déployés sur près de 1500 m2 qui retracent sa trajectoire expérimentale de créateur hors-norme. Un parcours articulé autour du dialogue entre art, textile et architecture qui constitue le fondement de son travail. Mais aussi du dialogue entre les cultures ancestrales amérindiennes et la modernité occidentale, deuxième fil rouge de l’exposition. Son titre, fait référence à la notion anthropologique de « premier contact », désignant la première rencontre entre deux cultures distinctes. Elle vient explique l’artiste « en contre-point du terme « découverte » utilisé jadis de façon unilatérale – par les colons européens en Amérique ».
Depuis 2005, Santiago Borja développe un questionnement tout à la fois théorique et esthétique sur la « modernité occidentale », les structures de la pensée rationnelle et les modèles de représentation de son idéal universaliste. Un art conceptuel qui revisite aussi bien le divan de Freud, qu’une collection d’objets de Breton ou des motifs minimalistes de Sol Lewitt à la lumière des langages et des savoir-faire issus d’ethnies aborigènes, de cultures précolombiennes ou de traditions occidentales oubliées – ou refoulées. Leur redonnant une nouvelle signification. Renouvelant notre regard.
Ainsi en 2010, Borja recouvre le tapis persan du divan de Freud (situé dans l’appartement londonien où le Père de la psychanalyse s’est installé en 1938 pour fuir le nazisme) par un tissu et des coussins tissés par des femmes du peuple Huichol au Mexique, et dont les motifs géométriques et colorés sont « calqués sur les images des rêves ». Initialement réalisée à la Villa Savoye à Poissy en 2011, l’installation « Sitio » est constituée de plusieurs « œuvres » en rupture totale avec cette icône de la modernité construite par Le Corbusier, mais qui entrent en résonance avec elle. Telle cette habitation traditionnelle maya sur pilotis recouverte de feuilles de palmiers (Destinerrance) qui rappelle les piliers de la villa, et ces tapis en laine tissés par des Indiens Zapotèques qui redonnent vie à cette architecture désormais inhabitée. Un clin d’œil au passage avec la fonction originelle du Quadrilatère de Beauvais, ancien centre de la tapisserie construit en 1976 par l’architecte André Hermant. Totemic Sampler (2018), sculpture en bois recouverte d’un grand tissu mexicain en laine et coton aux couleurs vives, évoque la fonction première de toute architecture : servir d’abri. Une habitation à la fois totémique et au modernisme des motifs qui fait écho à la Cabane éclaté n°10 de Daniel Buren, présentée plus loin. Longtemps caractérisée par ses rayures verticales, l’œuvre de Daniel Buren se déploie désormais dans l’espace. Sa Cabane éclatée, site dans le site, dévoile à la fois son enveloppe et celle de l’espace où elle s’inscrit.
L’exposition se poursuit avec une sélection d’œuvres contemporaines prêtées par le FRAC Grand Large - Hauts-de-France, choisies par l’artiste en regard de sa démarche, et proches du courant minimaliste des années 1960 : un Astéroïde d’Ettore Sottsass, une Barre de bois rond d’André Cadere, une Composition jaune à quatre carrés d’Aurélie Nemours, des cercles concentriques et hypnotiques aux contours flous d’Ugo Rondinone…
Une exposition à l’humeur vagabonde et rêveuse.
Catherine Rigollet
