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Soleils noirs. De l’Egypte à Soulages l’épopée de la couleur noire

Poétique et sensorielle, l’exposition offre une rencontre inédite avec plus de 140 chefs-d’œuvre croisant les époques et les disciplines. Près de 75 ans après l’exposition mythique Le Noir est une couleur, elle propose de plonger dans l’observation fascinante de cette tonalité au symbolisme pluriel dans les arts occidentaux, de l’antiquité à nos jours. Couleur du paradoxe, le noir est-il une absence de lumière, un vide, une somme réjouissante de toutes les couleurs, un éblouissement ?

Couleur ou non-couleur, le noir fait parler de lui depuis les premiers versets de la Genèse. Pour le mettre en scène dans cet environnement autrefois minier, les commissaires ont assemblé quelque 180 œuvres, de l’Antiquité à nos jours, qui nous renvoient à nos rêves, nos croyances, nos goûts et peut-être nos peurs et nous étonnent ou nous séduisent. La représentation des Noirs est laissée au souvenir de la belle exposition du Musée d’Orsay en 2019 (Le modèle noir de Géricault à Matisse) et le romantisme noir, exploré par le même Musée d’Orsay en 2013 (https://lagoradesarts.fr/-L-Ange-du-bizarre-Le-romantisme-noir-.html), est simplement effleuré.

Première œuvre résonnant avec l’environnement, Sans Titre (Le Terril), 2008 de Stéphane Thidet, deux tonnes de confetti noirs en pyramide. Elle s’envolerait à la moindre brise. On l’a prudemment mise à l’intérieur. Elle introduit un défilé de peintures occidentales, thème retenu pour l’exposition, ponctuées de sculptures, dessins et films, illustrant les étapes d’une couleur personnalisée par chaque artiste, support d’une symbolique, marqueur social, puis matière, matériau devenu sujet. Pour la mise en bouche, dans une salle noire, les Panoptes, 2019-20 de Laurent Grasso : gravés dans du marbre noir veiné de blanc, ces yeux renvoient au mythe d’Argos aux cent yeux (Argos panoptès, Argos qui voit tout). On voit donc dans le noir ?

En peinture, la nuit se fait sa place vers la fin du 16e siècle, en opposition aux fonds d’or et aux enluminures sacrés. La gravure permettra une meilleure diffusion de ces scènes de nuit pour les collectionneurs. La peinture sacrée utilisera aussi un noir symbolique pour représenter le drame de la passion du Christ, que ce soit Murillo, dans une émouvante peinture sur obsidienne, Le Christ à la colonne avec St. Pierre, c. 1670 ou l’estampe de Rembrandt, La descente de croix au flambeau, 1654, où la construction dramatique est mise en relief par le contraste entre l’encre noire et le papier blanc.

Les peintres s’attachent aux déchainements du ciel, violents et éphémères. Les eaux deviennent noires, perdant leur fluidité pour devenir minérales. Alexander Harrison, peintre américain, qui élut la France pour y étudier et y vivre au tournant du 20e siècle, peint La Solitude, 1893. Sur une eau marmoréenne, un personnage se tient debout à l’avant d’une yole, dans un moment figé et décisif de son existence. On ne peut s’empêcher de penser à l’Ile des Morts, peinte quelques années plus tôt par Arnold Böcklin. Plus tôt dans le siècle, le noir s’était fait romantique et sert à merveille le goût pour l’étrange le triste, le lugubre. Eugène Delacroix se dépeint en héros shakespearien (Autoportrait en Hamlet, 1820), tout de noir vêtu, auréolé de sa tristesse bleue sur fond noir.

Le noir marque l’appartenance à un milieu aisé, dès le 16e siècle, dans toute l’Europe. Que ce soit des aristocrates dans les cours catholiques ou la riche bourgeoisie protestante des Pays-Bas. Une salle leur est réservée, où les lourds tissus moirés chatoient, jusqu’à la dentelle plus transparente d’une robe où le noir se fait couleur de deuil dans un portrait qui porte les traces de l’influence des peintres espagnols (Manet, La peintre Berthe Morisot à l’éventail, 1874). Après la révolution industrielle, le noir ne sera plus celui des élégances mais celui de la crasse et de la misère, et la photo en noir et blanc capte efficacement les « gueules noires » et les bâtiments industriels (Bernd et Hilla Becher).

Ce sont les artistes du 20e siècle, Pierre Soulages, Richard Serra, Hans Hartung, qui s’intéressent le plus à la matérialité du noir, à ses effets de lumière ou de matité, comme on le voit avec quelques tableaux. Pour boucler le parcours, un autre terril muséal, de Bernar Venet dont on connait mieux les sculptures métalliques. À la légèreté des confetti noirs de Thidet s’oppose la densité du charbon déversé sur le sol pour former un je-ne-sais-quoi de sculptural.

Si l’on regrette l’absence de Joël Andrianomearisoa, ce plasticien de la feuille de soie noire que l’on avait découvert au Pavillon de Madagascar à la Biennale de Venise, on sort admiratif devant le choix de ces œuvres et leur adéquation à un propos curatorial clair soutenu par des cartels détaillés.

Une heure de train depuis Paris, et une petite demi-heure de marche jusqu’au musée que vous ne regretterez pas.

Elisabeth Hopkins

Archives expo en France

Visuels de l'artiste
Infos pratiques

Jusqu’au 25 janvier 2021
Musée du Louvre-Lens
99 rue Paul Bert
62300 Lens
Ouvert tous les jours de 10h-18h, sauf le mardi
Entrée : 10 €
www.louvrelens.fr


Une sélection de 15 commentaires d’œuvres proposée par le musée :
https://www.louvrelens.fr/exposition-soleils-noirs-audioguide/


Catalogue sous la direction de Marie Lavandier, Juliette Guépratte et Luc Piralla-Heng Vong, commissaires. Coédition Lienart / Louvre-Lens - 380 pages, environ 250 illustrations - 39€.


Visuels : Odilon Redon, Le Corbeau, 1882, fusain, craie noire et craie blanche sur papier. Musée des Beaux-Arts de Bordeaux – dépôt du musée d’Orsay. © Mairie de Bordeaux, musée de Bordeaux / photo Frédéric Deval. Alexander Harrison, La solitude, 1893 © RMNGrand Palais musée d’Orsay - Hervé Lewandowski.
Laurent Grasso, Panoptes, marbre - 2019 (Louvre-Lens - Exposition temporaire « Soleils Noirs » - 2020). Photo D.R.