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Sous le regard de Méduse, horrible beauté

Méduse, « un thème qui active des affects très forts » alerte d’emblée l’historien de l’art Alexis Merle Du Bourg, co-commissaire de l’exposition Sous le regard de Méduse. De la Grèce antique aux arts numériques avec Emmanuelle Delapierre, directrice du musée des Beaux-Arts de Caen. L’envie de comprendre la fascination exercée par cette figure polysémique de la mythologie grecque lui trottait dans la tête depuis longtemps. Il faut dire que cette femme à la beauté devenue mortellement fatale a tout pour envoûter. La preuve, son mythe raconté depuis Homère a inspiré des générations d’artistes et s’est perpétué jusqu’à aujourd’hui, jusqu’à séduire l’univers du luxe (Versace en a fait son emblème) ou être utilisé par le mouvement #MeToo.

La double-peine

Pour faire court dans la -très- complexe mythologie grecque : née de la Terre et de la Mer, membre de la fratrie des Gorgones, mais la seule mortelle, Méduse est une femme d’une grande beauté. Poursuivie un jour par Poséidon, elle se réfugie dans un temple dédié à Athéna, mais le dieu de la mer y entre malgré tout et la viole. Furieuse de voir son temple profané, Athéna impose la double peine à la pauvre victime, la transformant en monstre coiffé de serpents, pétrifiant désormais tous ceux qui croiseront son regard…Elle sera finalement tuée par Persée -fils de Jupiter et de Danaé- et de son sang jaillira Pégase, le cheval ailé…Les Médicis avaient bien compris l’intérêt politico-artistique de ce Persée victorieux de Méduse et en avait fait un emblème de leur puissance en confiant à Cellini la réalisation d’un bronze monumental le montrant décapitant Méduse (1545-54).

Le regard qui tue

L’exposition ouvre symboliquement sur plusieurs représentations de Persée (dont un bronze de Cellini sans doute préparatoire à son grand Persée), avant de démarrer le parcours chronologique avec les premières sources iconographiques de Méduse découvertes sur des céramiques datant du 7e siècle av.J.-C. Dans ces représentations archaïques, Méduse surnommée alors Gorgoneion a le visage rond, des yeux protubérants, un nez épaté, une bouche large découvrant des crocs, et une langue qui dépasse. Omniprésente dans l’art antique, Méduse se fait discrète dans l’art chrétien, que ce soit dans la sculpture, la peinture ou les manuscrits enluminés, et elle perd peu à peu son aspect grotesque pour prendre l’apparence d’une femme. On la retrouve à la Renaissance avec des modèles devenus récurrents, tels le Persée et Méduse de Cellini ou la Tête de Méduse (anonyme flamand, vers 1600) jadis attribuée à Léonard de Vinci conservée au musée des Offices à Florence. S’appuyant sur les Métamorphoses d’Ovide, les artistes européens vont jusqu’au XVIIIe siècle représenter le mythe avec un goût prononcé pour la dramaturgie, avec la tête coupée de Méduse dans des scènes horrifiques comme la Méduse (vers 1597) du Caravage, hurlant de douleur -ou d’effroi-, ou celle de Rubens (vers 1613), regard épouvanté, entourée d’une prolifération de serpents nés de son sang s’écoulant sur le sable du désert de Libye...

Beauté fatale

Au XIXe siècle, les préraphaélites anglais, comme Burne-Jones, puis les symbolistes lui redonne un aspect de jeune femme à la beauté mélancolique, mais tout aussi fatale, comme la divine Méduse en marbre d’Harriet Goodhue Hosmer (vers 1854). Face au châtiment éternel qui l’accable, Méduse devient même pour certains une allégorie de la douleur, telle cette Medusa du bavarois Franz von Stuck (vers 1892) aux yeux phosphorescents écarquillés, terrifiée par sa cruelle destinée. Un des tableaux parmi les plus obsédants du parcours. Au XXe siècle Antoine Bourdelle lui sculpte un visage serein et se sert de sa longue chevelure pour réaliser un marteau de porte en bronze. Giacometti fait de sa tête une applique en bronze au sourire insaisissable (vers 1934). Sa figure inspire aussi les caricaturistes et va bientôt séduire les cinéastes avec une première apparition dans La Gorgone (1964) de Terence Fisher, puis Le choc des Titans de Desmond Davis en 1981...

La revanche de Méduse

Le mythe médusien continue aujourd’hui d’être réinterprété, souvent de manière subversive ou en signe d’insoumission comme en témoignent plusieurs œuvres qui clôturent l’exposition. La Medusa (2020) de Jaye Lara Blunden affirme que « no means no » ! La Medusa noire de l’artiste ivoirienne Laeticia Ky (2022) qui se photographie avec des cheveux tressés se terminant par des têtes de serpents à la manière d’une charge mordante, entend dénoncer les violences faites à l’encontre des femmes. Dominique Gonzalez-Foester utilise son propre corps pour une rencontre frontale avec une Méduse vieillie mais aux yeux toujours hypnotiques et dangereux (Gorgone V, 2021). Avec Luciano Garbati qui a carrément inversé les rôles avec sa triomphante Méduse tenant la tête de Persée (bronze, 2008), la gorgone sacrifiée tient enfin sa revanche.

Catherine Rigollet

Archives expo en France

Visuels de l'artiste
Infos pratiques

Du 13 mai au 17 septembre 2023
Musée des Beaux-Arts
Le Château -14000 CAEN
Du mardi au vendredi de 9h30 à 12h30 et de 13h30 à 18h
Le week-end et jours fériés de 11h à 18h
Tous les jours en juillet et août
5,50 € (TR : 3,50 €) avec collections permanentes
Tél. 02 31 30 47 70
www.mba.caen.fr


 Catalogue, 400 pages couleur, éditions In Fine, 42 €


 À voir aussi au musée des beaux-arts de Caen : Dominique De Beir
Dominique De Beir (née en 1964) élabore des œuvres à la lisière des arts du dessin, de la peinture et de la sculpture. De sa formation à l’école des Beaux-Arts dans l’atelier de Pierre Buraglio et de sa relation privilégiée avec Pierrette Bloch – dont elle a été quelques années l’assistante –, elle garde une attention particulière aux matériaux dits pauvres qu’elle récupère et recycle. Trouant, perforant, ponçant ou érodant la surface de papiers, de cartons et de polystyrènes, elle fait naître des œuvres fascinantes, poreuses, fouillées, parcourues d’une infinité de reliefs. Sensible, vibrante, colorée, l’œuvre de Dominique De Beir est montrée au musée des Beaux-Arts de Caen pour la première fois, au fil d’un parcours allant des années 1990 à aujourd’hui. Jusqu’au 8 octobre 2023.


Visuels :
 Peter Paul Rubens avec Frans Snyders et atelier, Tête de Méduse, vers 1613. Huile sur toile, 68,5 x 118 cm. Vienne, Kunsthistorisches Museum.
 Heinrich Meyring (dit Enrico Merengo), L’Envie, dernier tiers du 17e siècle. Marbre. Venise, Ca’ Rezzonico, Museo del Settecento Veneziano.
 Edward Burne-Jones, La Mort de Méduse (Série Persée), vers 1882, gouache,
Southampton, City Art Gallery.
 Franz von Stuck, Medusa, vers 1892. Peinture sur carton, 37 x 37 cm. Aschaffenburg, Museen der Stadt.
 Jaye Lara Blunden, Medusa, 2020. Dessin numérique, impression jet d’encre. Atelier de l’artiste.