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Soutine/De Kooning : la peinture incarnée

Cette exposition originale explore l’impact de la peinture ardente et tourmentée de Soutine sur la vision picturale du grand peintre de l’expressionnisme abstrait américain et confronte les deux artistes dans un face à face inédit.

Chaïm Soutine (1893–1943), peintre de l’École de Paris d’origine russe a développé très jeune une vision et une technique de peinture très particulières, marquant la génération des peintres d’après-guerre par la force expressive de son oeuvre hors normes, aussi ardente que tourmentée, incarnant une vie qui le fut tout autant. Dans les années 1930, son œuvre jouit déjà d’une solide réputation en France et aux États-Unis. En effet, dès 1922, le Dr. Albert C. Barnes qui a découvert son travail, a acheté cinquante-quatre de ses toiles, les exposant à Philadelphie contribuant à le faire connaître outre-Atlantique. Puis Soutine fait l’objet d’une rétrospective au Museum of Modern Art à New York en 1950, où sa peinture gestuelle et l’empâtement prononcé de ses toiles l’étiquettent comme un précurseur de l’expressionnisme abstrait américain, que va incarner notamment Willem de Kooning.

Né à Rotterdam aux Pays-Bas, Willem de Kooning, (1904-1997) a débarqué clandestinement aux États-Unis en 1926 et découvert le travail de Soutine, sans jamais le rencontrer. Plus tard il dira : « J’ai toujours été fou de Soutine – de toutes ses peintures » (1977). En quête de sa propre voie, il s’est déjà confronté aux lignes d’Ingres, aux portraits de Picasso, aux femmes de Matisse. Mais au tournant des années 1950, il entame sa série Woman, des femmes monumentales au corps lacéré par ses coups de pinceau de couleurs acidulées. Des toiles dans lesquelles se construit un expressionnisme singulier, tendant à prouver qu’il n’y a pas d’opposition entre être abstrait et figuratif en même temps. On y retrouve l’audace des couleurs et une certaine forme de gestuelle tourbillonnante à la Soutine qui devient une référence permanente pour l’artiste américain qui vit désormais au bord de la mer, dans la région des Hamptons. Un environnement qui va influencer ses toiles. Ses nouvelles Femmes-paysages (1954-55), des figures féminines aux visages déformés comme les paysages de Soutine, aux poses provocantes, « flottent comme des reflets dans l’eau » dit-il. La peinture est fluide comme l’océan, les lignes brouillées sont noyées dans un flux de couleurs acidulées. De ses femmes aussi en chair que cette Femme entrant dans l’eau de Soutine avec sa robe blanche retroussée découvrant ses cuisses, telle la Femme se baignant dans un ruisseau de Rembrandt, sourdent la lumière et une sensualité violente.

Présentée à l’Orangerie qui possède une importante collection d’œuvres de Soutine (déjà mise en lumière en 2012 dans « Chaïm Soutine, l’ordre et le chaos »), cette petite exposition de qualité réunit au total une quarantaine d’œuvres. De Soutine, on admire les célèbres portraits de Groom, Enfant de chœur, Communiante et Petit Pâtissier. Mais aussi l’étonnante Colline de Céret, enchevêtrement de maisons renversées perchées sur un cône de verdure ou Le Bœuf écorché, digne héritier de celui de Rembrandt, un des artistes du panthéon artistique de Soutine. La révolution artistique de Willem de Kooning se lit au travers de ses femmes. Si sa Reine de cœur (1943-46) est encore très picassienne, presque sage, sa Woman II (1952) est un lacis de griffures de pinceau, tandis que sa Woman in a Garden peint vingt ans plus tard n’est plus que peinture et lumière, comme son paysage North Atlantic Light, 1977. Un éblouissant dialogue dans la démesure.

Catherine Rigollet

Visuels : Chaïm Soutine, Femme entrant dans l’eau, 1931. Hst. 113,6 x 71,8 cm. Londres, MAGMA ©Museum of Avant-Garde Mastery of Europe.
Willem de Kooning, Woman II (Femme II), 1952. Hst. 149,9 x 109,3 cm. MoMa, New-York.
Chaïm Soutine, La colline à Céret, 1921. Hst. 74,3 x 54,93 cm. Los Angeles, LACMA.
Willem de Kooning, North Atlantique Light (Lumière de l’Atlantique Nord), 1977. Hst. 203,2 x 177,8 cm. Collection Stedelijk Museum, Amsterdam. ©The Willem de Kooning Foundation / Adagp, Paris 2021.

Archives expo à Paris

Visuels de l'artiste
Infos pratiques

Du 15 septembre 2021 au 10 janvier 2022
Orangerie
Place de la Concorde, 75001 Paris
Tous les jours sauf mardi : 9h-18h
Tarifs : 12,50€ /10€
www.musee-orangerie.fr