Le mouvement surréaliste initié et théorisé par le poète André Breton fête ses cent ans ! Une grande rétrospective s’imposait pour revisiter l’ensemble ce courant délirant, qui explore l’onirisme, l’inconscient, la déraison...Et se demander ce qu’il en reste aujourd’hui.
Contestataire, déraisonnable, onirique et fantasque, le surréalisme fascine encore cent ans après sa naissance. Il lui fallait une rétrospective à sa mesure et fidèle à son esprit. Son entrée se fait donc par un sas conçu comme une « boîte magique ». Inspirée par l’intérêt des surréalistes pour la culture populaire (train fantôme, fête foraine), ce dispositif immersif entend évoquer le cabaret « L’Enfer » et sa façade en forme de gueule du diable, haut lieu de la vie nocturne du Montmartre de la Belle Époque qui était situé à proximité de l’atelier d’André Breton et qui servait parfois de lieu de réunion aux Surréalistes. Après une plongée dans le noir au milieu des figures tutélaires du groupe, on émerge dans le « chaudron central » au sein duquel repose le manuscrit original du Manifeste du surréalisme, prêt exceptionnel de la Bibliothèque nationale de France. Breton y définit le surréalisme comme un « automatisme psychique pur » permettant d’exprimer la réalité de ses pensées, sans censure, que ce soit par l’écriture (comme l’écriture automatique), le dessin, ou de toute autre manière.
UNE TRAVERSÉE DES MYTHOLOGIES FONDATRICES
Associant donc peintures, gravures, livres, documents, revues, films et photographies, le parcours thématique est conçu par les commissaires Didier Ottinger et Marie Sarré, comme un labyrinthe, à l’image de l’exposition organisée par Marcel Duchamp en 1947. Le fil rouge est toutefois parfaitement clair et il n’y a guère que la sortie qui se cache au bout des quelque cinq cents œuvres (!) réparties en 13 chapitres. On y découvre les figures littéraires et politiques inspiratrices du mouvement. Tel Lautréamont et ses Chants de Maldoror, un texte qui pour les jeunes surréalistes répond à la faillite du monde qui les a conduits dans la boucherie des tranchées. Lewis Carroll et son Alice qui subvertie les fondements rationnels de la réalité. Le sulfureux Sade pour son imaginaire érotique, mais aussi Marx pour transformer ce monde dans lequel les totalitarismes montent.
Toutes les mythologies qui structurent l’imaginaire poétique du mouvement sont évoquées : rêve, mère, chimère, forêt, pierre philosophale, nuit, Éros, pour se refermer sur le thème du cosmos avec l’immense toile Xpace and the Ego (1945) de Matta, inspirée par l’inquiétude de l’homme face aux désastres d’ordre naturel, moral et politique. Matta incarnant au début des années 1940 le renouveau du mouvement surréaliste, répondait à l’appel d’un « nouveau mythe pour l’homme moderne » lancé par Breton. La visite de ce dernier en territoires Hopi en août 1945, celle d’Antonin Artaud chez les Indiens Tarahumaras leur ayant confirmé l’intuition qu’une autre relation au monde, qu’une harmonie entre l’homme et la nature, sont encore possibles…
L’INTERNATIONALE SURRÉALISTE
Pour illustrer ces 13 chapitres, nombre d’œuvres emblématiques du mouvement sont présentes, issues des principales collections publiques et privées internationales. Le Cerveau de l’enfant de Giorgio de Chirico, symbole du monde intérieur et son Chant d’amour, vanité symbolisant la vacuité de l’existence humaine. Les Valeurs personnelles de René Magritte prouvant la subjectivité de notre perception de la réalité. L’ Ange du foyer de Max Ernst, peint en 1937 comme un manifeste contre Franco et le totalitarisme. Mais aussi : Le Grand Masturbateur de Salvador Dalí, le Chien aboyant à la lune de Joan Miró, La Main-coquillage de Dora Maar ou encore Birthday de Dorothea Tanning. Devant une succession de portes qui semblent s’ouvrir à l’infini, l’artiste se représente à demi-nue, vêtue d’une veste en racines anthropomorphes. À ses pieds, une petite créature chimérique symbolise la coexistence du rêve et de la réalité. Et parmi les centaines d’œuvres peu connues, notamment d’artistes internationaux, des pépites, comme cette toile de Richard Oelze (Täglishe Drangsale, 1934). Élève à l’ École du Bauhaus à Weimar, il découvre les surréalistes lors d’un séjour à Paris en 1932, s’en inspire pour ses œuvres à l’expression fondée sur la paréidolie (la reconnaissance de formes familières dans un paysage, des nuages ou des taches).
LES FEMMES AUSSI
Planétaire, le surréalisme n’est pas resté cantonné à Paris. Il a essaimé aux États-Unis bien sûr, mais aussi en Amérique latine, au Maghreb, en Asie, et s’est très largement enrichi des apports de ces foyers internationaux comme en témoigne la présence de nombreux artistes internationaux tels que de Tatsuo Ikeda (Japon), Helen Lundeberg (États-Unis), Wilhelm Freddie (Danemark), Rufino Tamayo (Mexique), parmi tant d’autres. Et les femmes sont nombreuses à avoir pris part au mouvement. Outre celles mentionnées plus haut, citons : Leonora Carrington, Remedios Varo, Ithell Colquhoun, Grace Pailthorpe, Valentine Hugo, Edith Rimmington, Maruja Mallo, Suzanne van Damme, Claude Cahun, Grace Pailthorpe, etc.
Un passionnant voyage en surréalisme qui met bien en évidence la dimension à la fois littéraire, artistique et politique de ce mouvement dont la mort historique en 1969 (actée par Jean Schuster, mais critiquée alors par certains) n’a pas marqué la fin de son influence sur l’art et la société, continuant d’inspirer la bande dessinée, la mode, le cinéma, des revues littéraires, etc.
Catherine Rigollet