La deuxième grande exposition temporaire de la Cité de la langue française fait sortir de leur réserve quelques-uns des plus beaux ou significatifs manuscrits de la Bibliothèque nationale de France (112 en tout). Certains textes fondateurs de la langue française y côtoyant certains textes légendaires de la littérature. Émotions garanties.
La langue française continue de prendre ses aises dans la Cité qui lui est dédiée depuis deux ans au château de Villers-Cotterêts (Aisne). Alors que la ludique et captivante exposition permanente se déploie dans plusieurs espaces du château restauré, la deuxième grande exposition temporaire fait sortir de leur réserve quelques-uns des plus beaux ou significatifs manuscrits de la Bibliothèque nationale de France (112 en tout). Certains textes fondateurs de la langue française côtoient certains textes légendaires de la littérature. Selon le cocommissaire de l’exposition Thomas Cazentre, conservateur au Département des manuscrits de la BnF, « l’idée de cette exposition est de se concentrer sur l’objet manuscrit et ses spécificités tout en gardant un esprit encyclopédique et une amplitude chronologique allant du Moyen Âge jusqu’à nos jours », « retracer l’histoire de l’affirmation de la langue française et comment cet objet se modifie au cours des siècles, à la fois esthétiquement et par ses usages », ajoute l’autre commissaire Graziella Pastore, également conservatrice au Département des manuscrits de la BnF.
L’exposition ne se présente pas de manière banalement chronologique mais s’articule en trois mouvements principaux à l’intérieur desquels on trouve des thématiques qui elles se déroulent sur un fil chronologique : le savoir et la pensée, la littérature, l’écriture privée.
Dans l’atmosphère feutrée de salles à l’éclairage très tamisé, qui rappellent plus des salles de bibliothèque que des salles d’exposition, on ne manque pas d’être saisi de vertige et d’émotion. Comme dans un sanctuaire consacré à l’écriture, les livres sont autant de reliques, de petits monuments sacrés retraçant la fantastique aventure du français s’extirpant du latin, se légitimant et s’affirmant par le défrichage, à travers traduction et transmission, de tous les champs du savoir et de la pensée avant de servir aux délices et aux tourments de la création littéraire et des échanges privés. En « visiteur de l’écriture », selon le mot de Paul Rondin, Directeur de la Cité internationale de la langue française, on assiste, fasciné, à cette lente mais triomphale marche en avant de la langue française qui finit par englober tous les domaines de la vie humaine. Certains extraits de textes et illustrations sont reproduits agrandis derrière et au-dessus des vitrines où les manuscrits sont exposés.
Le substrat latin imprègne encore les premiers manuscrits, souvent décorés d’enluminures et de lettrines ornées, comme on le voit avec un psautier et un lapidaire bilingue du XIIIe siècle, avec la Bible d’Acre ou la Chirurgie de Mondeville traduites du latin. Magnificence des Grandes Chroniques de France (XIVe siècle) qui légitiment la dynastie royale et ses origines mythiques. La science s’accommode du français avec de longues lettres de Descartes ou d’Émilie du Châtelet. Faute de caractères d’imprimerie reproduisant ces alphabets, le manuscrit est le seul support à pouvoir retranscrire langues anciennes ou « exotiques » (Grammaire égyptienne de Champollion ou Grammaire chinoise de Fourmont revue par Guignes).
Que d’émotion devant les carnets de travail de Claude Lévi-Strauss, Germaine Tillion ou Simone Weil ! Le voyage littéraire dresse un impressionnant panorama de la littérature française depuis ses origines (Chanson de Roland du XIIe siècle) jusqu’à nos jours (Histoire du fils de Marie-Hélène Lafon), en passant par les manuscrits ou brouillons fameux de Christine de Pizan, Rabelais, Hugo, Flaubert, Proust… On est frappé par les fragments de romans de Chrétien de Troyes (fin XIIe-début XIIe siècle) réutilisés au XVIIIe siècle pour former les reliures de dossier d’un notaire ou par le Chansonnier cordiforme de Montchenu (vers 1475), recueil en forme de cœur de chansons françaises et italiennes ayant appartenu à l’ecclésiastique savoyard Montchenu !
Les écrits intimes (correspondances, carnets intimes, journaux et mémoires) sont aussi très troublants : Héroïdes, recueil de lettres fictives richement enluminées et traduites du latin au début du XVIe siècle, une des rares lettres originales conservées de Mme de Sévigné, pages des Mémoires de Retz, Saint-Simon ou Casanova, cartes-collages de Prévert…
Témoignage vivant, incarné, le manuscrit associe l’intime à l’universel.
Cette exposition, résume justement Gilles Pécout, Président de la BNF en introduction du catalogue (Éditions du Patrimoine-Centre des monuments nationaux, 264 pages, 150 illustrations, 39 €), « contribue à cette histoire du temps long d’un patrimoine matériel qui dit l’histoire spirituelle, intellectuelle et artistique de notre pays à partir de sa langue. » C’est aussi une plongée un tantinet nostalgique dans un monde d’avant l’écran et l’intelligence artificielle générative...
Jean-Michel Masqué










