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Turner. The Sun is God : une esthétique du sublime

Le soleil est un dieu dans cette exposition qui explore la fascination de William Turner pour les phénomènes météorologiques et atmosphériques, et montre comment ce peintre à l’imaginaire romantique a su capturer l’intensité des forces de la nature dans une esthétique du sublime.

Selon son médecin, Joseph Mallord William Turner (1775-1851) aurait dit, en voyant le soleil percer les nuages au matin du 19 décembre 1851, juste avant de mourir : « The Sun is God ». Mais peut-être était-ce plutôt « the sun is good » suggère David Blayney Brown, ancien conservateur à la Tate Gallery à Londres, gardienne du Legs Turner qui comprend plus de 30 000 œuvres sur papier, plus de 300 peintures à l’huile et plus de 280 carnets. Et pourquoi pas « the sun is gold » ? Tant les ciels ensoleillés de Turner virent souvent au doré. La fabuleuse toile Départ pour le bal (San Marino) (1846) et son coucher de soleil qui imprègne l’eau de reflets dorés et lumineux, condense à elle seule le génie de J.M.W Turner pour capturer les phénomènes météorologiques qui va devenir son obsession. Quelques furent ses derniers mots, l’astre du jour occupe une place prépondérante dans l’œuvre du peintre londonien qui le considère comme un « motif joyeux…le plus beau des êtres ». Il n’a cessé de restituer son rayonnement, mais aussi son pouvoir mythologique et symbolique dans des marines, comme dans des peintures historiques ou des scènes mythologiques.
C’est précisément cette fascination de Turner pour le soleil, la lumière et les phénomènes météorologiques qu’explore en une centaine d’œuvres l’exposition organisée en collaboration avec la Tate et qui fait halte pour sa dernière étape à la Fondation Gianadda à Martigny en Suisse. Une exposition qui ne suit pas un parcours chronologique, mais se veut une immersion dans l’œuvre de Turner avec des toiles (dont on sait à quelle date Turner les exposa), entourées d’ébauches, d’esquisses, de pièces laissées inachevées et de gravures.

Peintre voyageur

On connaît Turner pour ses peintures de paysages grandioses et de marines tragiques. On le connaît moins, peut-être, pour ses aquarelles et ses esquisses plus intimes. Mais peu importe le médium. La maîtrise de la lumière, des couleurs et de l’atmosphère de ce fils d’un modeste barbier-perruquier passionné dès l’âge de onze ans par le dessin et l’aquarelle est aussi là. Au XVIIIe siècle, la peinture anglaise est réputée pour le genre du paysage et la technique de l’aquarelle bien adaptée à ce dernier connait un développement important. Turner s’y est formé à la Royal Academy où il est entré à l’âge de 14 ans, et perfectionne sa culture visuelle en étudiant les œuvres d’artistes européens, tels Poussin, Claude Gelée, dit Le Lorrain, Titien, Raphaël, Canaletto ou encore Rembrandt et ses leçons sur le clair-obscur ; Turner explorant la profondeur de l’ombre avec autant de fougue qu’il sublime la lumière. Et partout, lors de ses nombreux voyages (Angleterre, Suisse, France, Belgique et Italie, notamment Venise…), il remplit ses carnets d’esquisses qui lui servent ensuite à réaliser aquarelles et tableaux, toujours en atelier.

Peintre de la lumière

En 1804, Turner ouvre une galerie à Londres où ses œuvres sont présentées. Il a trente ans, est un artiste désormais reconnu et réputé, jouit d’une aisance financière et d’une grande liberté de création. C’est aussi à cette époque que son intérêt pour les phénomènes naturels s’accentue. Plutôt que de montrer le prisme d’un arc-en-ciel, il préfère peintre sa brume. Il éclaircit ses couleurs, enveloppe ses personnages de lumière solaire, dissout les couchers de soleil dans le ciel, noie le ciel dans l’eau comme dans ce Paysage avec eau (vers 1840) où même l’arbre n’est plus qu’une ombre. D’une grande économie de moyens, peignant avec une « vapeur de couleur » selon l’expression de John Constable, son plus proche contemporain et dans d’infinies modulations de textures (lisses ou rugueuses), ces paysages atmosphériques deviennent au fil des années des tourbillons de lumière blanche et jaune, les motifs ont fondu dans une abstraction, non conceptuelle, mais relative à l’évanescence de l’atmosphère, et d’une époustouflante modernité de représentation. Cette liberté picturale jusqu’alors inconnue de la part de cet artiste au demeurant très célèbre n’est pas toujours du goût du public à cette époque. Ce sont pourtant ses compositions à l’aquarelle de la fin de sa vie dans lesquelles il confirme sa vision impressionniste de la nature -et qui ont marqué des peintres comme Monet et Whistler, et plus tard Rothko et Zao Wou-Ki-, qui lui vaudront son immense succès posthume.

Catherine Rigollet

Archives expo en Europe

Visuels de l'artiste
Infos pratiques

Du 3 mars au 25 juin 2023
Fondation Pierre Gianadda
Martigny (Suisse)
Tous les jours, 10h-18h
Tarif plein : 20€
Catalogue : 35€
https://www.gianadda.ch/


Visuels : Turner, Le Pont du Diable et les gorges de Schöllenen, 1802. Mine de plomb, aquarelle et gouache sur papier. 47,1 x 31,8 cm. Acceptée par la Nation comme part du legs Turner en 1856. Photo Tate.
Turner, Lever du soleil (?). Pêche au merlan à Margate, 1822. Aquarelle sur papier vélin blanc. 38,8 x 49,7 cm. Acceptée par la Nation comme part du legs Turner en 1856. Photo Tate.
Turner, Paysage avec eau, vers 1840-5. Huile sur toile, 91,4 x 121,9 cm. Acceptée par la Nation comme part du legs Turner en 1856. Photo Tate.
Turner, Départ pour le bal (San Martino), exposée en 1846. Huile sur toile, 61,6 x 92,4 cm. Acceptée par la Nation comme part du legs Turner en 1856. Photo Tate.