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Valadon et ses contemporaines, peintres et sculptrices, 1880-1940

En écho à l’histoire du monument et de sa fondatrice Marguerite d’Autriche (1480 - 1530), le monastère royal de Brou met une fois de plus les femmes à l’honneur. Autour de la figure de Suzanne Valadon, l’exposition met en lumière les artistes de son époque et questionne à travers elles l’accès à la formation, les réseaux artistiques auxquels elles appartiennent, les sujets dont elles s’emparent et leur contribution aux mouvements d’avant-garde…

De tous temps, les femmes ont dû jouer des coudes pour se faire une place dans le milieu artistique. On se souvient d’Artemisia Gentileschi réussissant à devenir membre de l’Académie de Florence grâce à ses œuvres tourmentées et violentes, comme sa Judith décapitant Holopherne (1612), digne d’un Caravage. Au tournant des 19e et 20e siècles, la bataille est encore loin d’être gagnée. La place de la femme n’est toujours pas égale à celle de l’homme dans la société, elle est dénuée de tout droit civique, ne peut accéder à l’École nationale des Beaux-Arts et est priée de se cantonner à la sphère domestique. Les femmes peintres et sculptrices vont devoir encore lutter pour être reconnues comme des artistes à part entière, telle Suzanne Valadon, passant du statut de modèle à celui de peintre accomplie.

L’exposition débute avec les pionnières de cette période d’effervescence artistique. Leur accès à la formation et à la diffusion progresse, mais la parité n’est pas acquise. Avant 1880, les aspirantes artistes étudient principalement dans des ateliers privés comme l’Académie Julian, fondée en 1868. Des artistes comme la sculptrice Hélène Bertaux vont militer pour que toutes puissent accéder à une éducation artistique. À la suite du refus du directeur de l’école des Beaux-arts d’instituer une école spéciale pour les filles, elle décide d’ouvrir un atelier et fonde en 1881 l’union des femmes peintres et sculpteurs. Ce n’est qu’en 1897, que les femmes pourront rentrer à l’École des Beaux-arts, soit plus de 70 ans après sa création. Elles ne seront autorisées à concourir au Prix de Rome qu’en 1903.

La deuxième partie de l’exposition explore la figure majeure de Suzanne Valadon. Modèle et muse devenue artiste reconnue, elle est une figure emblématique de l’émancipation féminine au sein de la scène artistique parisienne, même si la postérité a longtemps relégué Valadon dans l’ombre de son fils, Maurice Utrillo, peintre en série de vues pittoresques montmartroises. Nombreuses sont les artistes femmes restées dans l’ombre d’hommes de leur entourage plus célèbres qu’elles. Camille Claudel écrasée par la stature d’Auguste Rodin en fit douloureusement les frais et ce n’est que longtemps après sa mort que son talent fut reconnu à sa juste valeur. Si l’impressionnisme est le premier groupe artistique à inclure une femme dès sa création avec Berthe Morisot, elles vont être pourtant nombreuses à contribuer à l’essor de la modernité. Pour n’en citer que quelques-unes : Emilie Charmy chez les Fauves, Georgette Agutte et Jacqueline Marval chez les postimpressionnistes, Marie Vassilieff chez les cubistes, Marie-Berthe Aurenche et Valentine Hugo chez les Surréalistes. Et c’est même une femme, la Suédoise Hilma af Klint, qui fut la véritable, bien que discrète, pionnière de l’abstraction, avant Kandinsky et Malevitch.

Et si on les a longtemps cantonnées dans des sujets comme les fleurs, les scènes de vie intérieure ou les enfants, c’est mal connaître leurs œuvres. Ainsi dans La Fuite d’une mère fuyant la guerre son enfant dans les bras lors du grand exode de 1940, Tamara de Lempicka va à la rencontre de l’Histoire. Dans ce tableau, elle fait référence à la « Fuite en Égypte » et met cette scène biblique en parallèle avec le contexte de guerre en Europe durant laquelle elle a fui avec sa famille pour rejoindre les États-Unis en 1939. Les raisons de cette fuite sont finalement les mêmes : échapper à un massacre. En représentant des « lieux de débauche », cafés, cabarets, voire bordels, Henriette Deloras ou Lou Albert-Lasard rompent également avec les convenances imposées à leur sexe. Jacqueline Marval reprend audacieusement le thème du harem, fantasme masculin par excellence. Émilie Charmy représente son amie la femme de lettres Colette en tenue d’Ève, dans un traitement audacieux, avec une touche franche et épaisse. L’exposition réunit près de 50 artistes : célèbres comme Camille Claudel, Marie Laurencin, Leonor Fini, Sonia Delaunay, Sophie Taeuber-Arp, Séraphine de Senlis, Mary Cassatt, Tamara de Lempicka ou Hélène Bertaux et d’autres moins connues ou parfois oubliées par la postérité. Une juste reconnaissance.

Catherine Rigollet

Archives expo en France

Visuels de l'artiste
Infos pratiques

Du 19 mai au 5 septembre 2021
Monastère royal de Brou
01000 Bourg-en-Bresse
D’avril à juin : 9h à 12h30 et 14h à 18h
Plein tarif : 9,5 €
Tel. 04 74 22 83 83
www.monastere-de-brou.fr


Visuel : Suzanne Valadon (Bessines-sur-Gartempe, 1865 – Paris, 1938), Deux figures (après le bain), 1909. Huile sur carton, 101 x 82 cm. Paris, Musée national d’art moderne – Centre Pompidou © Centre Pompidou, MNAM-CCI, dist. RMN-Grand Palais / image Centre Pompidou MNAM-CCI.
Tamara de Lempicka (Varsovie, Pologne, 1898 – Cuernavaca, Mexique, 1980), La Fuite ou Quelque part en Europe, 1940. Huile sur toile, Nantes, musée des Beaux-Arts.