Terre. Damnation. Purgatoire. Paradis. Comme les enfants jouant à la marelle, s’élançant du sol pour gagner le ciel en neuf cases, Joel-Peter Witkin déplace son palet photographique entre Eros et sacré, mort et extase, Vanité (Autoportrait, évocation du portrait en vanité) et memento mori, profane et religieux, à travers « des images qui apportent de la lumière dans l’obscurité ».
« Mon travail s’appuie sur la nature de l’homme et son rapport avec le divin ». Nous voici happés dans le corpus witkinien : corps glorieux, misérable, souffrant ou jouissif jusqu’au sado-masochisme (Mort par autoérotisme), recherche spirituelle et inquiétude religieuse. Dans la salle introductive de l’exposition, les vers de Baudelaire « O mort, vieux capitaine, il est temps ! levons l’ancre ! … », et l’eau-forte et aquatinte de Goya Le sommeil de la raison engendre des monstres, extraite des Caprices, nous aurons prévenu : nos yeux devront se déciller devant « les symboles visuels de mes pensées », même si certaines images peuvent heurter.
Witkin n’est pas le photographe de l’instant mais de la réflexion. Sa création passe par les croquis d’études de prise de vue et de la composition, par un tirage manipulé de retouches, par des découpages, collages, grattages et abrasions. Tel le graveur revenant sur son cuivre en des états successifs par le brunissoir, le grattoir, Witkin travaille son négatif jusqu’à l’extrême dans cette ré-interprétation si affinée des maîtres anciens. Ainsi Moisson (1984) revisite Archimboldo. Les corps démembrés de Géricault deviennent Le Poète (2005), collection de reliques et d’ornements.
Comment ne pas voir dans les photographies de Witkin, mises en écho avec des estampes du département des Estampes et de la photographie de la BnF, un dialogue avec La Mort surprenant une femme du Monogramiste M (d’après Michel Ange) ou avec La Carcasse de Veneziano si proche de sa photographie Cupidon et Centaure au musée de l’Amour (1992) ?
Gilles Kraemer