Il est né à Pékin en 1920, mais c’est à Paris où il arrive en 1948 que Zao Wou-Ki trouve sa personnalité et le chemin d’une abstraction lyrique, hybridation fertile d’Orient et d’Occident. Deux ans après sa mort à Nyon au bord du lac Léman où il s’était installé au crépuscule de sa vie, la Fondation Pierre Gianadda présente la première rétrospective en Suisse de l’œuvre du peintre et graveur Zao Wou-Ki (1920-2013), naturalisé français en 1964 grâce à son ami André Malraux.
Riche d’une cinquantaine de toiles et d’une trentaine d’encres de Chine et d’aquarelles, parmi lesquelles un ensemble monumental de grands diptyques et triptyques qu’on embrasse d’un seul regard du haut de la galerie circulaire de la Fondation Gianadda, l’exposition parcourt soixante années de création.
Si les reproductions des œuvres de Cézanne, Chagall, Matisse ou Picasso contemplées dans des livres ont motivé son désir de venir en France découvrir la peinture occidentale et se confronter à ses modèles (auxquels il rendra hommage quelques années plus tard dans plusieurs toiles, dont le magistral Hommage à Matisse de 1986), c’est l’émerveillement ressenti devant le langage des signes et les jeux de couleurs sans correspondance avec la réalité de Paul Klee qui persuade Zao Wou-Ki de s’abstraire progressivement de la réalité à partir des années 1950. Sur ses fonds, le peintre ne trace plus que quelques traits rendant encore visibles arbres, maisons, citrons ou chevaux (Venise Piazza, 1950 ; Corrida, 1953 ; Nature morte sur une table ronde, 1953). Mais très vite, Wou-Ki (son prénom) prend conscience qu’il fait du « sous Klee ».
Déboussolé, meurtri aussi par le départ de sa femme Lalan qui le quitte pour un autre, il part en voyage à New York avec Pierre et Colette Soulages. Il y découvre l’expressionnisme abstrait et l’action painting dont la fraîcheur, la spontanéité et la violence des couleurs vont l’enthousiasmer. Il y fait aussi la connaissance de la ravissante actrice et sculpteur May. De retour en France avec elle, sa gestuelle se libère, ses formats explosent pour accueillir son nouveau souffle vital, les signes disparaissent, les compositions deviennent vigoureuses, les bleus, les jaunes, les blancs, les noirs puissants coulent et se chevauchent avec jubilation et fulgurance pour former nuées, jaillissements, vagues, bouillonnements nous immergeant dans le mystère de paysages de l’esprit qui sont comme autant de symphonies chromatiques jouées par ce peintre qui aimait chanter. Et « même lorsque sa peinture est sombre, constate Daniel Marchesseau, commissaire de l’exposition, même lorsqu’elle se charge d’impétuosité, elle reste lumineuse et demeure l’expression de la vie. »
Zao Wou-ki a aussi cherché son chemin dans l’obscurité. En utilisant l’encre de Chine (« son bien héréditaire » selon l’expression de son ami le poète Henri Michaux) au début des années 1970, alors que May est de plus en plus souffrante, peut-être espère-t-il consolation et réponse à ses questionnements artistiques dans cette exploration intime et silencieuse. Tout en ruissellements et bouillonnements, ses jeux d’encre abstraits, cosmiques et poétiques de cet artiste qui a illustré Michaux, Char, Caillois, ou Senghor, invitent tout autant que sa peinture à la méditation. Dommage qu’ils soient tous exposés en dehors du parcours chronologique, comme une mise entre parenthèses.
Catherine Rigollet
Pour célébrer le dixième anniversaire du pavillon Sam Szafran, qui offre de part et d’autre sur le parc et sur la rue, deux céramiques monumentales de l’artiste réalisées avec Joan Gardy Artigas (Escalier, 2005 et Philodendrons, 2006) une salle est désormais consacrée aux différentes œuvres de Sam Szafran appartenant à la Fondation Pierre Gianadda, comme ce grand Paysage à la manière d’Hokusai, une aquarelle sur soie de 1999 dont la construction évoque les innombrables escaliers torturés de Szafran, reliefs d’une vie de tragédies et de résiliences.