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A la vie, à la mort ! Vanités d’hier et d’aujourd’hui

La fragilité et la beauté de la vie vues à travers cent-soixante vanités du Moyen Age et d’aujourd’hui, voilà ce à quoi invite cette grande exposition sur les représentations symboliques de la mort, qui loin d’être inquiétantes et morbides ne manquent pas de recul, de poésie, d’humour et d’allusions au « carpe diem » (cueille le jour).

À partir du Moyen Age, l’expression de ce qui est vain, illusoire, éphémère fait son chemin, faisant écho aux propos de l’Ecclésiaste, dans la Bible hébraïque : « vanité des vanités, tout est vanité ». Elle se développe au début du XVIIe siècle, au travers de gravures et peintures d’un genre nouveau, les Vanités, étroitement liées au sentiment de précarité qui se répand en Europe à la suite de la guerre de Trente Ans et des épidémies de peste.
L’art emboîte le pas à l’esclave qui murmure à l’oreille du général romain victorieux accueilli en triomphe lors d’une parade dans les rues de Rome : « memento mori » (« souviens-toi que tu vas mourir »). Une grande diversité de genres et de thématiques est mise à profit par les artistes pour exprimer cette impermanence des choses, cette irrémédiable finitude de la vie. Naissent danses macabres, triomphes de la Mort, scènes de genre, natures mortes, peintures d’histoire, bouquets de fleurs, peintures animalières, etc. Tandis que le corpus de symboles se diversifie de plus en plus. Chandelle consumée, sablier, miroir, fumée, bulle de savon, boule de verre, papillon, livre, fleur qui se fane, citron pelé en spirale, fruit pourri, mouche, pain, verre de vin à moitié plein, etc., se glissent dans les compositions. Ils expriment la précarité de la vie, la fragilité de la jeunesse, le temps qui s’écoule inexorablement, les plaisirs qui partent en fumée, l’illusion de l’orgueil et du savoir, mais aussi la préciosité de la vie, la sagesse spirituelle qui doit mener au salut de l’âme…

La polysémie des symboles est d’ailleurs parfois troublante et complexifie la lecture. Cette symbolique de la vanité de nos vies terrestres s’est développée avec le christianisme. Ainsi le papillon à l’existence éphémère est devenu pour l’Église un symbole de résurrection et de salut pour sa particularité à se libérer de sa chrysalide. Ce qui a l’air d’une simple nature morte devient donc l’expression d’un langage incroyablement riche ; chaque élément de la composition est porteur d’une valeur singulière et variable au fil des siècles et en fonction des civilisations et des religions.
Ludmila Virassamynaïken, commissaire de l’exposition À la mort, à la vie ! Vanités d’hier à aujourd’hui, a puisé dans les riches collections du musée des Beaux-Arts et du musée d’art contemporain de Lyon pour réunir cent-soixante estampes, gravures, dessins, peintures, sculptures et installations (complétées d’œuvres d’un couple de collectionneurs lyonnais), afin d’illustrer son propos. C’est une bande de squelettes aux poses parfois grotesques qui accueille le visiteur à l’entrée de l’exposition. Ces sculptures nigérianes (2e moitié du XXe siècle), vraisemblablement des incarnations d’esprits d’ancêtres côtoient une série de gravures de danses macabres agressives et jubilatoires dans lesquelles la mort triomphe des vivants ainsi qu’une sarabande de squelettes rougeauds et dodus peints par Erro (Sans titre, 1957).

Objet de fascination, de répulsion ou de méditation, la figure du crâne -et du squelette- obsède l’histoire de l’art, toutes civilisations et cultures confondues depuis l’Antiquité. On la trouve tout particulièrement dans des natures mortes et dans les œuvres de méditation (Saint-Jérôme, 1654, Hendrick de Somer). Crânes et ossements continuent de fasciner aujourd’hui et s’affichent sur les vêtements, les bijoux, les figurines de publicité, les vidéos. Les artistes contemporains ne sont pas les moins inspirés, se réappropriant la mort et sa représentation. Et même si leurs œuvres sont en décalage avec le grand thème classique, notamment par les nouveaux mediums employés, photographie, vidéo et installation, comme celle -spectaculaire et provocante- d’Erik Dietman constituée de 39 crânes posés au sol, regardant tous dans la même direction.

Au fil des salles, l’œil du visiteur apprend à déceler et déchiffrer les éléments symboliques qui vont lui permettre de comprendre le sens de la vanité, dans une brillante association entre les œuvres anciennes et contemporaines. Il y a celle prétentieuse et dérisoire des arts et du savoir exprimée par la présence d’instruments de musique, de chandelles et de livres ouverts (Nature morte au violon d’Henri Horace Roland de la Porte, 18e / Vanité de Picasso, 1946). Une nature morte comme la Vanité de Simon Renard de Saint-André (vers 1650) est un condensé de symboles : crâne, couronnes de laurier, bulles, bouteille de vin et verre brisé, flûtes et partition, draperie fine et coquillage…une addition de Vanités.
De simples bouquets, peints pour la plupart au 17e siècle suffisent à rappeler la fugacité de la vie quand ils sont associés à des insectes, des rongeurs ou des reptiles. Une belle illustration avec un petit tableau de Charles William de Hamilton d’une superbe délicatesse et fraicheur (Plantes, insectes et reptiles dans un sous-bois, 18e). Fascinant aussi ce Chat -au faciès humain- renversant un vase de fleurs d’Abraham Mignon, 17e. La mise en scène d’éléments de vaisselle, d’armes, de jeux, de pipes, d’aliments, de gibier pendu traduit la futilité des biens, du pouvoir et des plaisirs terrestres, illustré dans l’exposition avec une Nature morte au pain, à la carpe, au baquet et au pot de terre de Sébastien Stoskopff, (vers 1630) ou encore avec une tête de daim agonisant photographiée par Eric Poitevin (Sans titre, 2005) ; un écho -selon certain- à l’iconographie du Christ en croix, rappelant la portée moralisatrice des Vanités en général. Sur leur détournement et leur prix aussi aujourd’hui. L’iconique crâne aux 8 601 diamants de Damien Hirst For the love of God), s’est vendu 74 millions d’euros en 2007. De quoi profiter de la vie !

Catherine Rigollet


 À voir aussi au MBA-Lyon, jusqu’au 27 février 2022 : Par le feu, la couleur. Céramiques contemporaines.
Consacrée aux arts du feu que sont la céramique et le verre, l’exposition-dossier retrace l’évolution de ces moyens d’expression artistique, de 1960 à 2020. Elle met en valeur, dans une scénographie sobre et élégante, les donations récentes, complétées par quelques prêts. Des œuvres d’une grande diversité de style : sculptures minérales, céramiques picturales et aussi des curiosités et singularités héritées de Bernard Palissy (16e siècle).
On peut poursuivre cette visite par la section permanente du musée dédiée à la céramique contemporaine avec notamment de nombreuses créations de céramistes influencés par l’Extrême-Orient. Sont exposés de grands noms de la céramique contemporaine tels Jean et Jacqueline Lerat, Daniel de Montmollin, Camille Virot, Claude Champy, Claudi Casanovas, Bernard Dejonghe, Daniel Pontoreau, Daphne Corregan, Jean-François Fouilhoux, Pierre Bayle, Setsuko Nagasawa, Haguiko, Masamichi Yoshikawa, comme des représentants de la jeune génération, notamment Maho Nakamura et Akashi Murakami...

Archives expo en France

Visuels de l'artiste
Infos pratiques

Du 27 novembre au 7 mai 2022
Musée des beaux-Arts - Lyon
Tous les jours, sauf le mardi
De 10h à 18h
Vendredis de 10h30 à 18h
Tarifs : 8€/4€
www.mba-lyon.fr


Visuels : Anonyme. D’après André Vésale, La Mort appuyée sur une bêche, après 1543. Burin. Lyon, musée des Beaux-Arts. Image © Lyon MBA - Photo Martial Couderette.
Erró (Guðmundur Guðmundsson, dit), Sans titre, série Sur-Atom, 1957. Tempera sur papier. Lyon, musée d’art contemporain. © ADAGP, Paris, 2021. Image © Collection macLYON - Photo Blaise Adilon.
Erik Dietman, L’art mol et raide ou l’épilepsisme-sismographe pour têtes épilées : mini male head coiffée du grand mal laid comme une aide minimale…1985-1986. Crânes humains, carottes de béton, bronze. Lyon, musée d’art contemporain - Photo L’Agora des Arts.
Simon Renard de Saint-André, Vanité, vers 1650. Huile sur toile. Lyon, musée des Beaux-Arts. Image © Lyon MBA – Photo Alain Basset.
Charles William de Hamilton, Plantes, insectes et reptiles dans un sous-bois, 1re moitié du 18e siècle. Huile sur bois. Lyon, musée des Beaux-Arts. Image © Lyon MBA - Photo Martial Couderette.