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Pierre Bonnard (1867-1947). Peindre l’Arcadie

Entre bonheur idéalisé et désenchantement

Il y a comme un air d’éternel printemps chez Bonnard ! Peut être à cause de ses jaunes lumineux qui ensoleillent jusqu’aux tapisseries des chambres et des cabinets de toilette (Nu dans un intérieur, Nu de dos à la toilette), pour ses portraits de jeunes femmes d’une éternelle jeunesse, mais aussi pour tous ses intérieurs ouvrant vers l’extérieur par de larges fenêtres qui donnent envie de sortir prendre l’air dans les jardins abondamment fleuris (L’Atelier au mimosa, Salle à manger à la campagne).

Pour autant, résumer Bonnard à un peintre des menus plaisirs quotidiens et d’un bonheur simple serait réducteur, tant l’homme surprend par ses audaces chromatiques (son ultra-violet), « cette spiritualisation de la couleur, cette respiration immatérielle de la lumière, qu’à leur tour rechercheront Rothko, Newman ou Sam Francis », comme l’écrit Jean Clair dans Bonnard (Ed. Hazan). L’artiste étonne aussi par ses silhouettes déformées comme Le Chat blanc aux pattes démesurées à force de faire le gros dos, ses innombrables nus d’une grande sensualité, souvent parce que la femme qu’on y voit (sa compagne Marthe le plus souvent) ne pose pas, mais semble être discrètement observée en contre-plongée dans sa baignoire ou épiée derrière la porte entrouverte de sa chambre, telle Suzanne au bain surprise par les vieillards. Quant aux compositions de Bonnard, d’une densité ne laissant aucune place à un trou, elles font fréquemment fient de la perspective, notamment les tables, basculées dans une vision verticale.

Bonnard, ce contemporain de l’Impressionnisme (il rendra souvent visite à Monet à Giverny), du fauvisme (il rencontrera Matisse à plusieurs reprises) et du cubisme, admiratif de Gauguin, passionné par l’estampe japonaise, membre du groupe des Nabis, est finalement un peintre solitaire, plus complexe qu’il n’y paraît. Et même ses visions d’Arcadie interrogent. Bonnard n’aurait-il jamais eu d’angoisse existentielle ? On la sent affleurer dans Femme assoupie sur un lit dont les draps dessinent une chimère. Sans doute se glisse-t-elle aussi dans son autoportrait en boxeur au visage déformé par l’anxiété, dans les portraits proches de la caricature des membres de La Famille Terrasse réunie dans l’Après-midi bourgeoise, ou dans ce Portrait de l’artiste par lui-même, en 1930, interrogatif. Et finalement dans toutes ses visions intérieures que sont réellement ses tableaux.
Car qu’il soit à Paris, en Normandie ou sur la Côte d’Azur, Bonnard ne livre pas une transcription réaliste d’un visible, il fait appelle à sa mémoire, au souvenir laissé par la séduction des motifs observés, même furtivement, au cours de la journée, aux photographies qu’il prend aussi, et à une rêverie nostalgique très proustienne, peignant l’idée qu’il se fait du bonheur plutôt que le bonheur lui-même.

Catherine Rigollet

Visuels page expo : Pierre Bonnard, L’Atelier au Mimosa, 1939-1946. Huile sur toile, 127,5 x 127, 5 cm. Paris, Centre Pompidou – photo C.R. Et La soirée sous la lampe, 1921. Huile sur bois. Paris, musée d’Orsay, donation Philippe Meyer, 2000. © RMN-Grand Palais (musée d’Orsay) / © Michèle Bellot.
Visuel page d’accueil : Le Chat blanc, 1894. Huile sur carton. 51,9 x 33,5 cm. Paris, musée d’Orsay, acquis en 1982. Photo C.R.
Pierre Bonnard (1867-1947), Nu dans un intérieur,1912-1914

Archives expo à Paris

Visuels de l'artiste
Infos pratiques

Du 17 mars au 19 juillet 2015
Musée d’Orsay
Tous les jours (sauf lundi), de 9h30 à 18h
Nocturne le jeudi jusqu’à 21h45
Plein tarif : 11€
Tél. 01 40 49 48 14
www.musee-orsay.fr

 


 Après le musée d’Orsay, l’exposition sera montrée à la Fondation Mapfre à Madrid, du 18 septembre 2015 au 6 janvier 2016. Puis au Legion of Honor, San Francisco, du 6 février au 15 mai 2016.