Près de 70% des tableaux de figures de Gustave Caillebotte représentent exclusivement des hommes. Ils sont ouvriers (Raboteurs de parquets, Peintres en bâtiments), sportifs (Canotiers, Baigneurs), amis bourgeois parisiens contemplant la ville depuis le balcon filant de son appartement (Balcon) ou jouant aux cartes (Partie de bézigue). Il les peint nus aussi, à leur toilette, se séchant après le bain (Homme au bain, Homme s’essuyant la jambe), peut-être dans la propre baignoire de Caillebotte qui en disposait comme la frange la plus fortunée de la population à cette époque. Une peinture qui entre ainsi dans un rapport de proximité avec la vie ordinaire et l’intimité du peintre. Autant de scènes qui laissent penser que le peintre s’est intéressé surtout au côté masculin de la modernité, à la différence de Manet, Degas ou Renoir par exemple, qui ont représenté des figures féminines et des scènes de sociabilités mixtes.
C’est en fait sa vie de riche héritier, observateur attentif du Paris haussmannien, amateur de canotage sur l’Yerres coulant en bordure de sa maison de campagne et de fraternités masculines que Caillebotte met en scène avec réalisme -et en grands formats- dans son œuvre. Si elle est empreinte d’interrogations sur sa propre identité d’homme, elle constitue en même temps une chronique picturale de la vie moderne urbaine avec ses nouvelles architectures, ses grands boulevards et ses nouveaux ponts métalliques enjambant les voies de chemin de fer. Une modernité de la ville que Caillebotte restitue avec une modernité de peinture, faite de cadrages inattendus tel cet énigmatique Pont de l’Europe (vers 1877) dont les personnages sortent du cadre. Et de vues en plongée comme le Boulevard vu d’en haut (1880) qui anticipe la photographie.
Caillebotte meurt le 21 février 1894, à l’âge de 45 ans. Collectionneur et généreux mécène de ses amis impressionnistes, il a acquis près d’une soixantaine de peintures de Monet, Pissarro, Renoir, Sisley, Cézanne, Degas…qu’il a léguée par testament à l’État. Après de pitoyables atermoiements, une quarantaine sera finalement acceptée par l’administration. À l’occasion du 130e anniversaire de sa mort, le musée d’Orsay rend un double hommage au peintre et au collectionneur-donateur.
L’exposition réunit 140 œuvres, dont 65 peintures emblématiques venues du monde entier comme Jeune homme à sa fenêtre, Rue de Paris ; Temps de pluie (son plus grand tableau), Pont de l’Europe, Raboteurs de parquets, Partie de bateau ou encore Canotiers. Elle expose aussi nombre de dessins préparatoires et montre des œuvres moins connues comme ses peintures de plein air (Chemin montant et Les Roses - Jardin du Petit-Gennevilliers). On y découvre un portrait féminin, celui de Charlotte Berthier ; une jeune femme peu représentée par Caillebotte, bien qu’elle vécût avec lui à Paris et au Petit-Gennevilliers. Il lui laissera par testament une petite maison et une rente.
Contrairement aux apparences, la peinture de Caillebotte ne nous livre donc qu’une vision partielle de sa vie. Et d’ailleurs qu’importe. « Les véritables arguments d’un peintre sont sa peinture », écrivait Caillebotte à Pissarro en 1881.
Catherine Rigollet