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Cézanne - Renoir : une étonnante confrontation

En collaboration avec les Musées de l’Orangerie et d’Orsay, ce regard croisé entre deux artistes qui n’ont pas grand-chose en commun sauf d’avoir participé au même mouvement impressionniste, offre toutefois de voir quelques belles toiles et de percevoir l’héritage qu’ils ont laissé aux artistes majeurs qui les ont suivis, à commencer par Matisse et Picasso.

Bien que de la même « génération impressionniste », on ne rapproche plus trop de nos jours Paul Cézanne (1839-1906) et Pierre-Auguste Renoir (1841-1919). Pourtant, parmi les experts et les critiques, ce rapprochement n’était nullement incongru au début du XXe siècle. Bien sûr, ils trônent aujourd’hui avec d’autres au firmament de la peinture moderne mais leurs styles bien distincts n’amènent pas à les confondre et les font reconnaître d’emblée, même du plus néophyte. C’est le pari de cette exposition de la Fondation Gianadda de susciter une confrontation de ces deux géants qui n’a rien de fortuite. Une confrontation qui n’est pas tant une comparaison qu’une mise en scène de leurs ressemblances et dissemblances, de leurs « points de passage » avec une ouverture finale sur leur postérité, l’héritage qu’ils ont laissé aux artistes majeurs qui les ont suivis, à commencer par Matisse et Picasso.

En premier lieu, les deux artistes se rencontrent et s’apprécient dès leurs années de formation jusqu’à participer à deux des premières expositions impressionnistes (1874 et 1877). Même si Cézanne s’éloigne peu à peu de la vie parisienne, les deux hommes continuent à se fréquenter dans les années 1880-1890, et même à peindre ensemble en plein air, à L’Estaque notamment. Amitié et admiration réciproque s’allient à la même quête d’absolu. Ils ont aussi des collectionneurs et des marchands en commun : Victor Chocquet, Leo Stein, le Dr Albert Barnes, Ambroise Vollard, Paul Durand-Ruel et Paul Guillaume.

Ce dernier (1891-1934), galeriste et collectionneur précoce, est d’autant plus important que l’exposition de Martigny tient l’essentiel de ses pièces de la collection du musée de de l’Orangerie issue de la collection Walter-Guillaume (*) achetée en 1959 et 1963 par les Musées nationaux (complétée de quelques apports du musée d’Orsay et de la Fondation Gianadda). « La réunion des œuvres des deux maîtres dans ses collections par Guillaume aux côtés d’autres figures modernes est ici le prétexte de la présente exposition » précise Cécile Girardeau, commissaire de l’exposition et conservatrice au musée de l’Orangerie. Et, il y a près d’un siècle, Paul Guillaume faisait déjà dialoguer Renoir et Cézanne. Tériade en 1927 dans ses « Cahiers d’art » note dans son reportage sur l’appartement de ce collectionneur doué d’une pionnière sagacité : « De beaux Cézanne et tout un panneau de superbes Renoir tiennent la garde » parmi les Picasso, Matisse, Derain, Modigliani, Chirico et des pièces d’art africain, indien et océanien. Un coin de l’exposition de la Fondation présente d’ailleurs des photos des accrochages de Paul Guillaume et son portrait par Van Dongen.

À travers soixante tableaux, le parcours de l’exposition évoque justement ce dialogue en commençant par confronter des toiles dans les genres que les deux artistes ont explorés : natures mortes, paysages, portraits, baigneuses et baigneurs. On préfèrera peut-être la touche voluptueuse et sensuelle de Renoir ou la manière plus construite, voire géométrique, de Cézanne. Contraste flagrant entre Jeunes filles au piano de Renoir et Madame Cézanne au jardin, entre Portrait du fils de l’artiste de Cézanne et Claude Renoir, jouant. Et que dire des paysages luxuriants de Renoir (Le Poirier d’Angleterre, Paysage algérien) et ceux plus austères, voire inquiétants, de Cézanne (Arbres et maisons, Route de village, Auvers) ? Une seconde partie de l’exposition, chronologico-thématique, souligne leur évolution stylistique (magnifiques Dans le parc de Château Noir et Le Rocher rouge de Cézanne) jusqu’à féconder les artistes du début du XXe siècle (Bonnard, Denis, Derain, Matisse, Modigliani, Picasso, Soutine). Un ultime accrochage, en fin de parcours, associe Pommes et biscuits de Cézanne et la toile cubiste Grande nature morte de Picasso mais aussi Femme nue couchée (Gabrielle) de Renoir et Grand nu à la draperie du même maître espagnol. Un voisinage éclairant. Matisse écrit en 1918 : « L’œuvre de Renoir, après celle de Cézanne dont la grande influence s’est tout d’abord manifestée chez les artistes, nous sauve de l’abstraction pure en ce qu’elle a de desséchant. »

Jean-Michel Masqué

(*) Walter est le nom du second mari de Juliette Lacaze (1898-1977), dite Domenica Guillaume puis Domenica Walter. Plusieurs pages très instructives sur la constitution de cette collection Walter-Guillaume dans le catalogue de l’exposition « Cézanne-Renoir. Regards croisés », Fondation Pierre Gianadda, 35 €/CHF.

Archives expo en Europe

Infos pratiques

Du 12 juillet au 19 novembre 2024
Fondation Pierre Gianadda
Rue du Forum 59
Martigny (Suisse)
Tous les jours de 9h à 18h
Plein tarif : 20 €
Tél. : +41 (0) 27 722 39 78
www.gianadda.ch


Visuels :

 Paul Cézanne, Dans le parc de Château Noir, entre 1898 et 1900. Huile sur toile, 92 x 73 cm. Musée de l’Orangerie, Paris. © RMN Grand Palais. / Hervé Lewandowski.

 Auguste Renoir, Le poirier d’Angleterre ou le Verger à Louveciennes, vers 1873. Huile sur toile, 66,5 x 81,5 cm. Musée d’Orsay, Dation, 2012. © Musée d’Orsay, Dist. RMN Grand Palais / Patrice Schmidt.

 Paul Cézanne, Paysage au toit rouge ou Le Pin à l’Estaque, entre 1875 et 1876. Huile sur toile, 73 x 60 cm. Musée de l’Orangerie, Paris. © RMN Grand Palais. / Hervé Lewandowski.

 Paul Cézanne, Vase paillé, sucrier et pommes, entre 1890 et 1894. Huile sur toile, 36 x 46 cm. Musée de l’Orangerie, Paris. © RMN Grand Palais. / Hervé Lewandowski.

 Auguste Renoir, Pêches, 1881. Huile sur toile, 38 x 47 cm. Musée de l’Orangerie, Paris. © RMN Grand Palais. / Hervé Lewandowski.

 Paul Cézanne, Madame Cézanne au jardin, vers 1880. Huile sur toile, 80 x 63 cm. Musée de l’Orangerie, Paris. © RMN Grand Palais.


Cette exposition « Cézanne-Renoir » constitue aussi un ultime hommage à Léonard Gianadda qui avait pu, avant son décès le 3 décembre dernier, la superviser jusque sur son lit d’hôpital.
Prochaine exposition : Francis Bacon, Du 14 février au 8 juin 2025.