Chéri Samba dans la collection Pigozzi

« Je préfère les couleurs d’Afrique, elles sont plus vivantes. » Sa palette et son prénom seul sont déjà évocateurs de joyeusetés ! Mais il y a aussi un engagement solide à découvrir chez ce peintre congolais. On connaît Chéri Samba (né en 1956) grâce à la collection Jean Pigozzi, l’un des premiers grands collectionneurs d’art africain contemporain, à qui on attribue l’acquisition d’environ 10 000 œuvres, dont plus de cent œuvres de Samba.
Comme une pierre tombée à l’eau qui fait naitre des cercles concentriques, l’œuvre peint de Samba élargit, au fil de ses quarante ans de créativité, le cercle de son exploration, allant de l’autoportrait, à un portrait de femmes, de la ville, du pays et enfin du monde.

Performeur et sapeur kinois (de Kinshasa, RDC), ayant débuté dans la BD et la publicité, Samba se met à la peinture avant même ses 20 ans, accrochant ses toiles sur le mur extérieur de son atelier ou les posant sur le trottoir – déjà il se veut vu par « les masses ». Il devient très vite l’un des membres du mouvement de la peinture populaire de la capitale congolaise, qui se veut chronique visuelle de la vie quotidienne. Samba commence à se mettre en scène avec un sérieux non dénué d’humour, n’hésitant pas à expliquer ses toiles figuratives mais lourdes de symboles avec quelques mots écrits en français et/ou lingala et kikongo (langues bantoues), s’auto-attribuant le qualificatif de « peintre journaliste » qui crée de la « peinture à bulles ».

Dans son autoportrait le plus connu, J’aime la couleur, 2003, inspiré de M.C. Escher, son buste est un ruban foncé spiralé, portant les attributs d’un visage, pinceau entre les dents, sur fond azur. Lui qui cherche la notoriété n’aurait pu trouver plus accrocheur. Son deuxième cercle est la femme kinoise, vue distanciée, dans toutes ses incarnations de femme contemporaine, y compris comme « deuxième bureau », euphémisme humoristique kinois pour « maîtresse officielle ». Le troisième cercle nait à Kinshasa, où l’on vit et danse, de jour de nuit, et s’étend vite à tout le pays. Samba s’y fait dénonciateur des maux qui affligent l’Afrique – les « kadogos » ou enfants-soldats (Little Kadogo, I am for peace, this is why I like weapons, 2004), les virus qui déciment la population – pour ensuite devenir et rester, peintre-citoyen d’un monde confronté aux problèmes climatiques, aux conflits armés et aux désastres de la politique américaine, et décrivant ce monde avec humour, hargne parfois, et un zeste de réalisme magique.

Ayant obtenu la reconnaissance et la popularité pour laquelle il a travaillé toute sa vie, puisqu’il figure maintenant dans deux dictionnaires français, Samba ne renie pourtant pas ses racines. Toujours attaché à ce qui fut la peinture populaire, il voudrait voir la peinture africaine sur les cimaises muséales, accessible à tous, et plus seulement chez les collectionneurs avisés ou dans les galeries pour initiés. Dans le triptyque Quel avenir pour notre art ?, 1997, il se met en scène aux côtés d’un Picasso noir de peau – Picasso que fascinaient les arts premiers – allant offrir leurs tableaux respectifs à un musée contemporain.

Lors de la collection Pigozzi, exposée à la Fondation Vuitton en avril 2017, Chéri Samba partageait les cimaises avec une quinzaine d’autres artistes africains. Avec ce coup de projecteur sur ce seul peintre réjouissant, le musée Maillol nous convie tout aussi efficacement à nous ouvrir à un art différent, dont les critères, le style, les thèmes et les techniques ne peuvent qu’enrichir notre art occidental.

Elisabeth Hopkins

Archives expo à Paris

Infos pratiques

Du 17 octobre 2023 au 7 avril 2024
Musée Maillol
61 Rue de Grenelle - 75007 Paris
Tél. +33 (0) 1 42 22 59 58
Tous les jours : 10h30 - 18h30
Mercredi : jusqu’à 22h
Ouvert les jours fériés
Entrée : 16,50 €
www.museemaillol.com


Visuels :

 Chéri Samba, J’aime la couleur, 2003. Acrylique et paillettes sur toile, 206 x 296,7 cm.

 Chéri Samba, L’Agriculteur sans cerveau, 1990. Acrylique sur toile, 144 x 193 cm.

 Chéri Samba, Quel avenir pour notre art ?, 1997. Acrylique et paillettes sur toile
133 x 196,5 cm.

 Chéri Samba, Little Kadogo - I am for peace, that is why I like weapons, 2004. Acrylique sur toile, 204,5 x 245,5 cm.