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Corita Kent. La révolution joyeuse et pop d’une religieuse

Une religieuse américaine qui a fait du Pop Art dans les années soixante… L’information ne pouvait qu’ébranler notre ignorance et diablement titiller notre curiosité ! Avant l’exposition que lui consacre le Collège des Bernardins, nous ignorions tout de Corita Kent (1918-1986), alias Sister Mary Corita de l’ordre du Cœur Immaculé de Marie sis à Hollywood. Elle dirigea le département artistique de l’Immaculate Heart College jusqu’en 1968 où la « subversive Sister » (elle fait la Une du magazine « Newsweek » le 25 décembre 1967) demanda une dispense de ses vœux, lasse des pressions de la haute hiérarchie catholique californienne. Aujourd’hui, ses œuvres sont présentes dans les collections de la plupart des grands musées américains mais aussi à la Fondation Louis Vuitton, au Centre Pompidou, aux FRAC de Lorraine et des Pays-de-la-Loire.

Dès le début des années cinquante, Corita Kent choisit la gravure comme moyen d’expression, spécialement la sérigraphie. « Je suis une artiste imprimeuse, une forme très démocratique puisqu’elle me permet de produire une quantité d’œuvres originales pour ceux qui n’ont pas les moyens d’acheter des œuvres d’art à prix élevé. » Kent fait aussi de la sérigraphie un médium artistique à part entière, d’autant que dans les années soixante, ses œuvres reflètent les différents mouvements pacifistes (Vietnam) et d’émancipation (jeunesse, femmes, droits civiques…) qui traversent et divisent alors la société américaine.
Elle intègre dans ses œuvres des images et des slogans publicitaires, des paroles de chansons (Beatles), des extraits littéraires (Whitman) et des versets bibliques. Comme dans le Pop Art contemporain, Corita Kent détourne les codes et les slogans, le lettrage et les couleurs de la société de consommation et de la culture populaire. « Elle manifesta alors la « révolution joyeuse » d’un Dieu qu’elle croyait proche de tout être humain, quel qu’il soit », ajoute Laurent Landette, directeur général du Collège des Bernardins. L’art de Kent, porté par sa foi et son amour chrétiens, se fait engagement politique et social qui la fait connaître à travers tous les États-Unis, reconnaître par les milieux médiatique et artistique. En 1968, elle participe à plus de 230 expositions !

Une autre originalité de l’exposition est d’avoir confié son commissariat à deux jeunes artistes, la graphiste Clara Murawiec et la designer graphique Juliette Oudot, tout juste sorties de l’École nationale supérieure des Arts Décoratifs de Paris (ENSAD). Cette exposition est aussi le fruit d’un partenariat avec le Corita Art Center de Los Angeles qui conserve la plus complète collection d’œuvres et d’archives de Corita Kent. D’ailleurs les trente œuvres originales présentées dans la sacristie du Collège proviennent de ce fonds californien. Avant de descendre dans la sacristie, le visiteur passera d’abord par une « allée » de panneaux didactiques sur la vie et l’œuvre de Corita au centre de l’imposante nef. Ensuite, par un escalier (passage du XVIIIe siècle jamais ouvert au public) qui accueille des bannières sérigraphiées d’étudiants de l’ENSAD réalisées en septembre dernier dans le cadre d’un atelier de travail sur l’exposition, on arrive dans une salle de projection.

On y découvre une sélection de 80 diapositives, des images issues d’un voyage en Europe et en Égypte effectué en 1959 par Sœur Mary Corita et sa supérieure Sœur Magdalen Mary. Il s’agit de la première exposition de la série Catching Sight du Corita Art Center, des images captées par Corita qui pour l’essentiel montrent des surfaces, des couleurs et des textures des villes traversées (Paris, Milan, Athènes, Le Caire…), des détails, des sujets banals, « le désir de Corita de capturer le marginal et l’indéterminé », analyse Olivian Cha, conservatrice principale du Corita Art Center.

À travers cette exposition originale, qui ne pouvait guère trouver meilleur écrin que ce Collège des Bernardins, joyau de l’architecture cistercienne au cœur de Paris, nous faisons connaissance avec une personnalité excentrique, une femme libre qui prône paix et justice dans une époque troublée et violente qui n’est pas loin de rappeler la nôtre…

Jean-Michel Masqué

Archives expo à Paris

Infos pratiques

Du 9 octobre au 21 décembre 2024
Collège des Bernardins
20, rue de Poissy (Paris, 5e)
Du lundi au samedi (dimanches 17 et 24 novembre, 15 et 22 décembre)
De 10h à 18h.
Entrée libre - réservation obligatoire
Tél. 01 53 10 74 44
www.collegedesbernardins.fr


Visuels :

 Corita in studio, c. 1965. Image courtesy of the Corita Art Center, Los Angeles.

 Corita Kent, Stop the bombing, 1967, serigraph, 18 x 23 inches © 2024, Corita Art Center.

 Corita preparing inks, c. 1967. Image courtesy of the Corita Art Center, Los Angeles.

 Deux vues de l’exposition « Corita Kent. La révolution joyeuse ». Collège des Bernardins ©GLMPOLI 2024-14.

 Corita Kent, For emergency use soft shoulder, 1966, serigraph, 30 x 36 inches © 2024, Corita Art Center.

 Corita Kent, Passion for the possible, 1969, serigraph, 23 x 12 inches © 2024, Corita Art Center.