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Corps In-visibles. Une enquête autour de la robe de chambre du Balzac de Rodin

« Elle était faite à moi ; j’étais fait à elle. Elle moulait tous les plis de mon corps sans le gêner » (Diderot, Regrets sur ma vieille robe de chambre).
Tout est enquêtes dans cette exposition sur une célèbre robe de chambre. Enquête des commissaires de l’exposition (dont l’une est conservatrice au Musée Galliera) sur la créativité de Rodin (1840-1917) et comment elle s’exerce sur une commande de statue de Balzac (mort en 1850) ; enquête de Rodin lui-même, qui, pour satisfaire ce projet commandité par la Société des Gens de Lettres en 1891, s ’intéresse à la morphologie du romancier, étudie portraits et autres dessins et va jusqu’à retrouver son tailleur à qui il fait tailler redingote et pantalon aux mesures de Balzac ; enfin, enquête, ou plutôt réflexion annexe, sur ce qu’est la statuaire publique et la nécessité de la diversifier (si l’on en croit le déboulonnage de par le monde, de statues de personnalités toujours mâles, toujours blancs.)

Rodin exécute plusieurs maquettes, y compris une étude de nu d’un Balzac au ventre énorme et « semblant défier le monde ». Las, lorsque Rodin dévoile son projet en 1898 -un vaste drapé masque l’obésité du modèle- la statue est refusée par Les Gens de Lettres. La statue ne sera fondue qu’en 1939, vingt ans après la mort du sculpteur. Il en existe deux versions à Paris, l’une au carrefour de la rue Vavin et du boulevard du Montparnasse, l’autre dans le jardin du musée Rodin.

Objet-phare de cette exposition, l’Étude de robe de chambre pour Balzac, 1897, en plâtre, permet à Rodin d’appréhender le corps de son sujet. Elle embrasse un vide que l’imagination du sculpteur remplit d’un corps rondouillard, qu’à la fin du XIXe siècle on ne saurait pourtant voir. Le visiteur se sera régalé auparavant de l’iconographie balzacienne assemblée par un collectionneur bruxellois, le Comte de Lovenjoul. Portraits peints ou dessinés, caricatures dont une de Théophile Gautier, et daguerréotype par Mme Hanska, mécène, amante puis épouse (pour quelques mois) de l’écrivain. Les amateurs de couture auront reçu des réponses à tout ce qu’ils n’avaient jamais osé demander sur la prise de mesure par les tailleurs du 19e siècle, leurs instruments, et les brevets, etc. Et les amateurs d’art apprécieront le bien-fondé d’inclure dans ce survol vestimentaire deux œuvres bien connues : la petite statue de Voltaire, drapé mais non vêtu, d’un lourd textile de Houdon, et l’esquisse peinte d’un Balzac en robe de moine de Louis Boulanger.

Point final woke de cette exposition, une statue monumentale d’une femme noire, anonyme, en jogging et T-shirt de Thomas J. Price dont on aurait pu se passer. Pour démontrer probablement que la statuaire publique peut et doit s’ouvrir à Madame Tout-le-Monde aussi bien qu’aux mâles blancs d’influence...

Elisabeth Hopkins

Archives expo à Paris

Infos pratiques

Du 15 octobre 2024 au 2 mars 2025
Musée Rodin
77 rue de Varenne, Paris 7e
Du mardi au dimanche, de 10h à 18h30
Entrée : 14 €
www.musee-rodin.fr


Visuels :

 Étude de robe de chambre pour Balzac Auguste Rodin (1840-1917)

 Vue de l’exposition. © Agence photographique du musée Rodin, Jérome Manoukian.

 Auguste Rodin, Monument à Balzac, 1898, bronze, jardin du musée Rodin à Paris.