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Des exploits, des chefs d’oeuvre à Marseille

En cette année olympique, le sport et ses représentations artistiques sont au cœur de la programmation de nombreux musées à Paris et en France. À Marseille, les commissaires Jean-Marc Huitorel, critique d’art et Muriel Enjalran, directrice du Frac Sud, ont conçu une vaste exposition éclatée au sein de trois institutions culturelles marseillaises (le Frac Sud, le [mac] et le Mucem), pour analyser les rapports entre le sport et l’art. Comme l’écrit Jean-Marc Huitorel, « le sport et l’art ont une histoire commune, celle de la modernité, l’un puisant dans l’autre les moyens de sa représentation, le second empruntant au premier, formes, images et surtout un grand pan de réel contre lequel se frotter, où, parfois, se perdre. » (La Beauté du geste : l’art contemporain et le sport. Éditions du Regard, 2005).

L’Heure de gloire

Entrée tonitruante au Frac Sud - Cité de l’art contemporain avec une œuvre emblématique : cinq anneaux olympiques dorés à la feuille d’or, tenus dans la gueule de trois têtes de lions (Citius, Altius, Fortius, 2008, de Jean Bedez).
L’exposition se poursuit sur trois niveaux saturés d’œuvres dans tous les médiums -sauf la peinture- qui toutes veulent nous interpeller. Certaines prennent le sport comme sujet et outil pour revisiter l’Histoire comme cette tête en bronze reprise de celle du Julien de Médicis par Michel-Ange, traitée en revêtement de ballon de basket par Laurent Perbos. D’autres protestent contre la ségrégation des Noirs aux États-Unis comme cette référence aux poings levés des athlètes Smith, Norman et Carlos, à Mexico en 68, de Bergaguer & Péjus. D’autres revendiquent la liberté sexuelle comme ces motards de compétition s’enlaçant ; leurs combinaisons de cuir portant de manière troublante des inscriptions homophobes (Leatherboys, 2021 de Louka Anargyros). D’autres encore soutiennent l’égalité des femmes dans le sport (The ring, 2014, de Fiona McMonagle). Ou critiquent la trompeuse virilité du monde du foot avec ce surprenant babyfoot où tous les joueurs gisent au sol épuisés ou blessés (Materazzi, 2016-2017, de Bianca Argimon). L’humour souvent se glisse comme ce patin à glace d’Alexandra Riss, intégré dans le mécanisme d’un appareil à trancher le pain (Ligne, 2015). Ou cette série de coupes déformées et cabossées de Jean-Baptiste Ganne, lointains souvenirs de gloire (Détumescences, 2012).

Trophées et reliques

Dans le sport, les trophées deviennent vite des reliques que l’on expose comme telles et que des artistes se sont amusés à désacraliser, tout en leur attribuant une nouvelle valeur, celle d’objet d’art…qui s’expose aussi. Dans ce registre, au Mucem, les gants de Marcel Cerdan ou les ballons mythiques, comme celui de la demi-finale du Mondial 98, côtoient un ballon en bois de Barthélémy Toguo, celui cubique de Fabrice Hyper, la raquette de tennis au cordage en verre armé du collectif d’artistes Présence Panchounette, ou ces amusants Palmiers de basket de Yoan Sorin.

Tableaux d’une exposition

Au [mac], musée d’art contemporain, Jean-Marc Huitorel se sert du sport pour parler surtout de peinture (mais aussi dessin, photographie, tapisserie), autour de motifs qui fédèrent les œuvres. Des motifs géométriques, comme ceux de Raoul de Keyser dont les lignes évoquent des mailles de filets mais aussi la mise au carreau d’un dessin ou d’un tableau (Netwerk III, 1972. Des motifs plus figuratifs qui racontent des histoires de sport dans toutes ses dimensions : mythiques, sociales, politiques et sportives avec ses exploits et ses échecs. Dans ces registres, on ne manquera pas les grands dessins virtuoses de Jean Bedez qui révèlent un monde sportif devenu un inquiétant théâtre des masses comme l’exprime ce stade londonien d’Arsenal envahi par des nuées d’étourneaux (Murmuration aux cent sonnets, 2023 ; nom inspiré d’un recueil de poésies de Boris Vian). Même violence sous-jacente avec le Floating Numbers, 2023 de Mariam Abouzid-Souali ; un bateau de très jeunes migrants et leur ballon, apprentis footballeurs que l’on renverra chez eux s’ils ne sont pas à la hauteur des espérances des clubs qui les ont fait venir. Côté records et drames, l’immense peinture Les Géants (2021) de Pascal Rivet, montre une chute massive d’un peloton du Tour de France avec un effet saisissant dû à la déformation en ondulations de l’image.

Si chaque artiste bénéficie d’une petite monographie, Julien Beneyton dispose d’une salle entière pour présenter 22 œuvres de sa série L’œil du tigre (sur un total de 140 items réalisés de 2010 à 2024, chacun comportant un ou plusieurs éléments). Imprégné de pop culture américaine et de films d’action chargés de testostérone, l’artiste s’est donné pour tâche d’explorer la mythologie générée par la boxe sous les traits du dernier grand champion français, Jean-Marc Mormeck. Au-delà des portraits en pied du sportif, le corpus figuratif s’élargit à un ensemble d’œuvres finement dessinées ou peintes qui illustrent les contours d’un univers culturel autant que sportif. Cela va du décor âpre d’une cité de banlieue à un très fantaisiste tableau issu de son imaginaire, associant dans un paysage d’une minutie de primitif flamand : un homme noir à genoux en prière, un saint Michel exterminant un dragon, un saint Jérôme qui aurait troqué son lion pour une tortue, un boxeur effondré sur un vieux ring en bois et un bestiaire démoniaque à la Jérôme Bosch. Un clin d’œil à l’Histoire de la peinture qui résonne fort à propos avec cette triple exposition « Des exploits, des chefs-d’œuvre », riche et cohérente dans son ambitieux projet de montrer l’inépuisable réservoir de motifs et de formes que le sport offre à l’art.

Catherine Rigollet

Archives expo en France

Infos pratiques

Frac Sud – Cité de l’art contemporain : L’heure de gloire
Mucem : Trophées et reliques
[mac] musée d’art contemporain de Marseille : Tableaux d’une exposition
Du 26 avril au 8 septembre 2024
Jusqu’au 22 décembre au Frac Sud
www.fracsud.org
www.mucem.org
www.musees.marseille.fr/musee-dart-contemporain-mac
Catalogue : 39€


Visuels :

 Jean Bedez, Citius – Altius – Fortius, 2008. Résine et feuilles d’or. Courtesy de l’artiste. Exposition Frac Sud.

 Louka Anargyros, Leatherboys II, 2020 (série Leatherboys). Céramique, peinture. Arken museum of contemporary art, Ishøj, Danemark. Photo L’Agora des arts. Exposition Frac Sud.

 Laurent Perbos, Antik Basketball, 2022. Sculpture en bronze, piètement acier, peinture expoxy. Collection Frac Sud, cité de l’art contemporain, Marseille. Photo L’Agora des arts. Exposition Frac Sud.

 Alexandra Riss, Ligne, 2015. Patin à glace, bois. Courtesy de l’artiste. Photo L’Agora des arts. Exposition Frac Sud.

 Gants de boxe d’entrainement de Marcel Cerdan. Anonyme, 1944-1946. Cuir, coton. Collection du musée national du sport, Nice. Exposition Mucem.

 Barthélémy Toguo, Le ballon de foot : African democracy, 2017. Bois, peinture. Collection Blachère, Bonnieux. Photo L’Agora des arts. Exposition Mucem.

 Yoan Sorin, Palmier de basket, 2013-2023. Assemblage d’un palmier décoratif et d’un mini ballon de basket. Fer, bois et plastique. Exposition Mucem.

 Mariam Abouzid-Souali, Floating Numbers, 2023. Acrylique sur toile marouflée sur bois. Photo L’Agora des arts. Exposition [mac]. Et détail.

 Jean Bedez, Murmuration aux cent sonnets, 2023. Triptyque (détail). Dessin à la mine de graphite sur papier, encadrement bois peint, verre anti-reflet. Œuvre produite avec la participation du [mac], musée d’art contemporain, Marseille. Courtesy de l’artiste. Exposition [mac].

 Julien Beneyton, item de la série L’œil du tigre, 2010-2024. Photo L’Agora des arts. Exposition [mac].