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Dieric Bouts : un virtuose de l’image au XVe siècle

Une exposition au M Leuven porte un nouveau regard sur les œuvres du maître flamand Dieric Bouts (vers 1410-1475) en les confrontant à la culture visuelle d’aujourd’hui. De La Chute des Damnés à Star Wars, un parcours original qui surprend et séduit.

Mettre face à face une tête de Christ et un portrait du coureur Eddy Merckx, une Vierge à l’enfant et une photographie de Beyoncé couronnée aux 59e Grammy Awards ou encore La Chute des Damnés et l’attaque des Clones dans Star Wars, il fallait oser. Le M Leuven l’a fait. Pourquoi un tel concept ? Mais déjà, qui était Dieric Bouts ?

Grand maître flamand de la Renaissance, Dieric Bouts (v. 1410-1475) a passé la majeure partie de sa vie à Leuven (Louvain) où il a peint ses plus beaux panneaux. Des portraits chargés de dramaturgie et des paysages à l’ambiance surnaturelle, dont deux chefs d’œuvre : La Cène et Le Martyre de Saint Erasme, conservés habituellement dans la Collégiale Saint-Pierre.
En ce début de 15e siècle, la ville se relève d’épidémies de peste, de conflits incessants, de déclin de l’industrie drapière et amorce un véritable âge d’or grâce au développement économique et à la fondation de l’université en 1425. C’est un contexte idéal pour Bouts qui se voit confier des commandes de portraits de dévotion, des retables pour la nouvelle église Saint-Pierre et d’imposants panneaux pour l’Hôtel de Ville. De la vie de Dieric Bouts qui, quoique plus énigmatique et moins connu, peut être considéré comme l’égal de Jan Van Eyck ou de Rogier Van der Weyden (dont il fréquenta peut-être l’atelier), nous savons peu de choses. Ni la date exacte de sa naissance (vers 1410-1420), ni le lieu précis où il est né, probablement à Haarlem. On sait en revanche qu’il s’est installé à Louvain dans la deuxième moitié des années 1440. Il y épousa en premières noces Catharina Van der Brugghen, la fille d’un marchand fortuné. Ensemble, ils eurent quatre enfants. Deux d’entre eux, Dieric junior et Albrecht, ont suivi ses traces et sont devenus peintres. Dieric Bouts décéda à l’âge de 60 ans dans sa maison dans la Minderbroedersstraat à Leuven.

La puissance des images d’hier à aujourd’hui

Cette exposition qui présente près de trente de ses œuvres réunies à Louvain entend montrer son côté novateur, créateur d’images, à une époque charnière entre le Moyen Âge et les Temps modernes. Un créateur d’images, au sens où s’il peint ce que l’on attend de lui, tels les artistes de son temps (le concept d’artiste tel que nous le connaissons n’a d’ailleurs pris forme qu’après le 15e siècle), il compose déjà avec brio des paysages, devançant en cela Joachim Patinir (vers 1485-1524), considéré comme le premier paysagiste de l’histoire de l’art occidental. Bouts applique de manière empirique la perspective à point de fuite et les couleurs, comme ce bleu pour le lointain.
On l’admire tout particulièrement dans deux œuvres majeures de l’exposition : Le Triptyque de la descente de Croix, et La Cène (Triptyque du Saint-Sacrement). Tous deux nous racontent une histoire (derniers instants du Christ, dernier repas) que l’on « lit », image par image, dans des scènes aux arrière-plans de vallées et de montagnes apportant illusion de profondeur. Des paysages inventés, parfois fantastiques, ajoutant souvent du spectaculaire aux scènes, même lorsqu’elles sont improbables comme ce saisissant Triptyque du martyr de saint Érasme. C’est pour faire comprendre ce côté créateur d’images percutantes de Bouts, cette méthode efficace qu’il a de nous faire entrer dans la scène, de nous faire réagir, que Peter Carpreau, commissaire de l’exposition, a imaginé ce parcours original en confrontant l’œuvre de Bouts à des créateurs d’images d’aujourd’hui.

Pari risqué, mais dans l’ensemble réussi. Si le rapprochement de photographies de stars du sport avec le Christ (glorification, idolâtrie, prestations surhumaines, souffrances…) convainc peu, les images de mères avec leur bébé (des pop stars comme Beyoncé, Lady Gaga) qui reprennent l’iconographie de la Vierge à l’enfant sont plus pertinentes et mettent en lumière l’émotion et la douceur présentes dans les portraits de Bouts (superbe Vierge à l’Enfant entourée de quatre anges). Réussite en revanche pour la mise en relation des images de science-fiction de George Lucas (Star Wars) avec les représentations mi-réalistes mi-fantaisistes et l’atmosphère surnaturelle des paysages de Bouts, comme dans son Triptyque avec le martyr de saint Hippolyte. Réussite aussi pour les extraits projetés en grand écran du film L’Évangile selon St Mathieu de Pasolini tourné en noir et blanc avec des gens de la campagne dans les années 1960, face au Triptyque de la descente de croix de Bouts. Un film qui donne chair et vie au tableau d’attente silencieuse.

Alors, même si cette approche qui porte un regard contemporain sur l’artiste et jette un pont entre passé et présent vous déconcerte, laissez-vous envahir par les images de Bouts, son imagination, ses fantasmes et au-delà par ce qu’il représente de l’univers de la peinture du XVe siècle.

Catherine Rigollet

Archives expo en Europe

Infos pratiques

Du 20 octobre 2023 au 14 janvier 2024
M Leuven
Leopold Vanderkelenstraat, 28
Tous les jours, sauf le mercredi : 11h-18h
Nocturne le jeudi jusqu’à 22h
Tél. +32 (0)16 27 29 29
Tarif plein : 12€
www.mleuven.be
www.diericbouts.be/fr


 Dans les pas de Dieric Bouts

Dans le cadre de ce festival Dieric Bouts, M Leuven présente cet automne à la collégiale Saint-Pierre « The Off Hours », une installation sonore de l’artiste américaine Jill Magid. Toutes les nuits, pendant les heures de fermeture au public, résonnera dans l’église, depuis la chapelle où est exposée habituellement « La Cène » de Dieric Bouts (actuellement dans l’exposition au M), une composition musicale inspirée des cris nocturnes d’oiseaux migrateurs.
On pourra suivre Bouts dans les rues de Leuven en passant devant la nouvelle fresque murale façon 3D d’Evert Debusschere inspirée de l’œuvre de Bouts et par la maison où se situait son atelier. www.diericboutsfestival.be


Visuels :

 Visuel affiche Dieric Bouts avec en haut détail de La Chute des Damnés et en bas Star Wars, Attack of the Clones (2002, extrait), digital concept art, Ryan Church © LucasMuseum of Narrative Art, Los Angeles.

 Dieric Bouts, Le martyr de saint Erasme avec les saints Jérôme et Bernard, vers 1460-1464. M Leuven (Eglise Saint-Pierre) © www.artinflanders.be. Photo : Dominique Provost.

 Dieric Bouts, Triptyque du Saint-Sacrement (La Cène), 1464-1468, M Leuven (Eglise Saint-Pierre). © www.artinflanders.be. Photo : Dominique Provost.

 Vue de l’exposition avec à gauche Triptyque de la descente de Croix de Dieric Bouts, vers 1450-1458. Granada, Cabildo de la Capilla Real de Granada, et à droite images du film L’Évangile selon St Mathieu de Pasolini. © L’Agora des Arts

 Dieric Bouts, La chute des Damnés, 1469-70 (+ détail), Lille, Palais des Beaux-Arts (Prêt à long terme Musée du Louvre, Paris).

 Dieric Bouts, La Vierge en adoration (fragment), vers 1470. Berlin, Gemäldegalerie, Staatliche Museen zu Berlin. Photo : L’Agora des Arts.

 Hôtel de Ville, Louvain, octobre 2023, photo : L’Agora des Arts

 Maison de Dieric Bouts (détail), octobre 2023, photo : L’Agora des Arts