Toute sa vie, Eugène Leroy (1910-2000) a cherché à faire pénétrer la lumière du Nord dans la peinture, avec la frénésie d’un gourmand amoureux de la vie. Nu, portrait ou paysage, le modèle n’est souvent qu’un prétexte pour ce peintre d’une extrême exigence, revenant sans cesse sur ses toiles, accumulant la matière picturale avec une infinité de petites touches de couleurs jusqu’à dissoudre les motifs figuratifs dans un empâtement sédimentaire énigmatique (« une peinture glébeuse » disait-il) que seul le recul rend lisible. Une peinture réalisée à l’huile de lin, sans siccatif et dont la croûte solidifiée cache une matière restée molle, vivante. Une œuvre unique, nourrie des grands maîtres : Rembrandt, Velázquez, Titien, Giorgione… et d’humanisme.
Né en 1910 à Tourcoing et décédé en 2000 à Wasquehal, Eugène Leroy a vécu et travaillé toute sa vie dans la métropole lilloise (études à l’Ecole des beaux-arts de Lille, enseignement à Roubaix). Il réalise sa première exposition personnelle à Lille en 1937, expose en 1956 au Musée des beaux-arts de Tourcoing où il entretient des rapports de complicité avec Jacques Bornibus (1952-1960) son Conservateur. Bien que tardive, la reconnaissance d’Eugène Leroy s’est imposée internationalement, grâce notamment au soutien fidèle du galeriste allemand Michael Werner qui régulièrement montre son travail depuis les années 1980. Leroy sera aussi exposé à New York, Berlin, à la Documenta IX de Cassel (1992), à Nice, Bâle, Toronto, Buffalo, Düsseldorf, à la galerie Bruno Mory à Besanceuil (71)...et à Paris. D’abord dans la galerie de son fils Eugène-Jean qui défendra le travail de son père toute sa vie, mais aussi à la galerie de France et au Centre Georges Pompidou qui a présenté la dation Eugène Leroy en 2004-2005. L’œuvre d’Eugène Leroy est aujourd’hui définitivement pérennisé grâce surtout à l’exceptionnelle donation faite en 2009 par ses deux fils Eugène Jean (1934-2011) et Jean-Jacques (né en 1944) au musée de Tourcoing.
Composée de 50 tableaux de toutes les périodes couvrant les années allant de 1930 à 2000, 140 œuvres sur papier (encre, fusain, aquarelle, gouache et techniques mixtes), 99 gravures, des carnets de croquis et 13 sculptures (terre cuite et bronze), elle a fait l’objet d’une très belle exposition, à l’occasion du centenaire de la naissance du peintre en 2010. On ne peut que se réjouir de cette mise en valeur de l’œuvre d’un artiste singulier qui a su si bien faire passer ses émotions et rendre visibles -tout en étant souvent aux marges de l’abstraction- d’admirables nus (féminins surtout) par la magie de ses couleurs lumineuses et de sa technique inimitable. S’il a toujours réfuté cette abstraction dans ses tableaux, il s’en est parfois emparé avec jubilation dans de grandes gouaches sur papier. Sous l’immense légèreté et fluidité de la touche, elles révèlent la même main et la même volonté de faire apparaître et disparaître des formes en densifiant les traces.
Catherine Rigollet
Visuel page expo : Eugène Leroy. Couple. Huile sur toile. 1952 / 1960. 100 x 73 cm. Photo MA. Leroy. Tourcoing, MUba Eugène Leroy
Visuel vignette : Eugène Leroy. Papa Thirant. Huile sur bois. ca 1950. 61 x 50 cm
