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Ecrire en noir et blanc. 150 ans de photographies

Montée en 2020 au Grand Palais, Noir & Blanc n’a jamais été ouverte au public en raison de la pandémie de Covid. La Bibliothèque nationale de France n’entendait pas en rester là et l’exposition, co-organisée avec la RMN-Grand-Palais, se découvre enfin, dans ses lieux mêmes, mettant en valeur des chefs-d’œuvre en noir et blanc issus de sa riche collection photographique, la plus vaste de France et l’une des plus importantes dans le monde. Le souhait des quatre commissaires, Sylvie Aubenas, Héloïse Conésa, Flora Triebel et Dominique Versavel, est de donner à voir les différentes manières d’écrire en noir & blanc, du XIXe siècle à nos jours, en s’appuyant sur plus de 300 œuvres de 200 photographes de 37 pays du monde entier. Qu’ils aient utilisé le N&B faute de couleur ou – à partir des années 1950-1970- préféré à elle pour ses nombreuses propriétés graphiques, matérielles, esthétiques, symboliques. Même si la photographie couleur est créée dans les années 1860, elle n’obtient ses lettres de noblesses que dans le milieu des années 1970 quand les photographes auteurs s’en emparent. Et le noir et blanc restera indissociable de l’histoire de la photographie.

Noir, blanc et gris

Le parcours, volontairement non chronologique, entremêle les œuvres selon une approche avant tout technique et esthétique du noir & blanc. Il explore les notions de contraste, d’ombre et lumière et de nuancier de matières, pour retranscrire les expérimentations sur l’image entre le noir, le blanc et les infinies variations de gris.
Si la couleur peut distraire l’œil, la monochromie le recentre, surtout lorsque des artistes s’ingénient à contraster le noir et blanc jusqu’à faire disparaître les nuances de gris. Si certains optent pour la magie du noir sur une page blanche, comme Valérie Belin avec ses immenses visages de femmes noires sur fond blanc et Mario Giacomelli avec ses prêtres en robes noires dansant sur un sol d’une blancheur immaculée, d’autres font l’inverse pour des résultats tout aussi tranchés. Ainsi, l’esthétique graphique du kayak blanc vu du dessus par Ray K. Metzker ne serait pas aussi puissante s’il n’émergeait pas d’un noir absolu.
Le jeu des ombres et lumières est au cœur de l’acte photographique et rapproche des artistes tels Kertész (1er janvier 1972 à la Martinique), Cartier-Bresson (Derrière la gare St Lazare, Place de l’Europe, 1932), Willy Ronis (Venise, 1959) ou encore Brassaï, Arthur Tress, Ann Mandelbaum qui se sont amusés avec les effets d’éblouissements, d’ombres portées, de transparences, de reflets.

D’autres photographes affectionnent les photos de nuit qui font émerger la lumière depuis les éclairages électriques. Parfois réduite à un point ou une ligne. Sur la mer des Cyclades plongée dans une nuit noire, Jean-Claude Mougin a capté la lampe d’un bateau de pêche traçant une ligne blanche sur l’horizon (Sikinos, 2001). Des photographes adoptent même la lumière comme seul sujet, exacerbé jusqu’à l’abstraction : Paul Strand avec l’ombre d’un porche, Koichi Kurita avec de la neige fondant sur un rocher.
En poussant les contrastes du noir et blanc, les photographes révèlent les stricts volumes qui structurent le réel, et tout particulièrement les architectures urbaines et industrielles, comme Jean-Claude Gautrand et sa série de tirages au trait sur les chantiers de Paris, Métalopolis (1964) d’un graphisme proche de la gravure.
De nouveaux effets de matière dans des gros plans et du grain visible sont recherchés par des photographes, allant jusqu’à amener une confusion dans ce qu’on voit. Ainsi, est-ce de l’organique ou du minéral, de la peau ou du rocher dans cette photo de Bill Brandt ? (Normandie, 1959). D’autres photographes en revanche n’ont de cesse de rendre la quintessence des choses jusqu’au réalisme, comme celui recherché par Edward Weston avec son Poivron, N.30 (1929).

Entre effacement et éblouissement

Autre expérimentation par des photographes qui en surexposant ou sous-exposant leur pellicule, donnent corps à leurs désirs de noir ou de blanc. L’Allemand Gottfried Jäger fait même son sujet d’un morceau de papier photographique entièrement isolé, carré noir sur fond blanc. L’influence de Malevitch ? L’exposition se poursuit avec des rendus des matières dans toute la palette des valeurs de l’opacité au blanc pur en passant par les gris. « La photographie n’est pas toujours du noir et du blanc contrastés ; il y aussi le gris, « les gris ». Il y a des sujets où il n’y a même que cela », écrit le photographe Emmanuel Sougez (1889-1972), que Dora Maar considérait comme son mentor. Une riche palette chromatique qui forme comme un nuancier, excellant à restituer les surfaces et les matières, avec des œuvres d’Emmanuel Sougez, Edward Weston, Barbara Crane ou Jun Shiraoka alignées en ruban. Clap de fin avec un clin d’œil à la couleur introduite de manière singulière par des photographes contemporains (Patrick Tosani, Marina Gadonneix, Laurent Cammal) qui, dans une nouvelle expérience sensorielle se sont ingéniés à traiter avec des techniques couleurs des motifs en noir et blanc.
Didactique par son fil rouge et sensible par le choix des tirages, voilà une belle et enrichissante immersion à travers un corpus de 300 clichés des plus grands noms de la photographie.

Catherine Rigollet

Archives expo à Paris

Infos pratiques

Du 17 octobre au 21 janvier 2024
BnF- François Mitterrand
Du mardi au samedi, 10h-19h
Dimanche : 13h-19h
Fermé le lundi et jours fériés
Tarif plein : 10€
www.bnf.fr


En raison de son succès, l’exposition ouvrira 7 jours sur 7 à partir du 2 janvier 2024


Visuels :

 André Kertész, 1er janvier 1972 à la Martinique, 1972, BnF, Estampes et photographie © Centre Pompidou, MNAM-CCI, Dist. RMN-Grand Palais / Philippe Migeat.

 Laurence Leblanc, Chéa, Cambodge, de la série « Rithy Chéa Kim Sour et les
autres » , tirage argentique, 2000. BnF, Estampes et photographie
© Laurence Leblanc, courtesy Galerie S.

 Mario Giacomelli, Je n’ai pas de main qui me caresse le visage, 1961-1963
BnF, Estampes et photographie © Archives Mario Giacomelli - Simone Giacomelli.

 Koichi Kurita, Melting Snow on a Rock, Nagano, Japan, 1988. Titage argentique, 1990. Don de l’auteur, 1993. Photo L’Agora des Arts.

 Ray K. Metzker, Kayak, Francfurt, 1961. BnF, Estampes et photographie © Estate Ray K. Metzker.

 Jean-Claude Gautrand, Hall, de la série Métalopolis, 1964. Tirage argentique d’époque. Achat auprès de l’auteur, 1968. Photo L’Agora des Arts.

 Edward Weston (États-Unis, 1886-1958), Poivron, N°30, 1929. Tirage argentique publié dans le portfolio Edward Weston, New York, Witkin Berley, 1971. Achat auprès de Lee Witkin, 1971. Photo L’Agora des Arts.