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Gertrude Stein et Pablo Picasso, l’invention du langage

Cette exposition inédite raconte l’amitié féconde entre l’artiste espagnol Pablo Picasso et la collectionneuse d’art et écrivaine américaine Gertrude Stein. Deux radicalités artistiques qui vont nourrir la première avant-garde du XXe siècle autour du cubisme, et irriguer la scène artistique américaine.

L’année 1904 est un grand cru pour l’art avec le début du fauvisme et pour la littérature avec l’arrivée à Paris de l’américaine Gertrude Stein (1874-1946). Écrivaine, mécène, collectionneuse, esthète, figure de la littérature d’avant-garde, son salon du 27 rue de Fleurus devient vite le plus couru de ce Paris qui est une fête en ce début du XXe siècle. Dans un joyeux bouillon de cultures et de talents cosmopolites animé par cette femme cultivée aux commentaires tranchés sur tout (de la cuisine et des us et coutumes français jusqu’à la politique…avec quelques égarements), on croise une galaxie foisonnante d’écrivains tels Hemingway, Joyce, Cocteau, Apollinaire, Fitzgerald, et d’artistes Matisse, Man Ray et Picasso (1881-1973) tout jeune artiste espagnol débarqué en 1901.
Gertrude Stein se passionne pour son œuvre et très vite une grande complicité va lier l’immigrée bourgeoise, juive, homosexuelle, et l’immigré pauvre mais ambitieux. Tous deux inventifs, curieux et en pleine effervescence créative, elle littéraire, lui picturale. Tous deux admiratifs de Cézanne. Tous deux se passionnant pour la question du réel et sa perception subjective.

L’américaine devient le premier mécène de Picasso et ensemble ils vont élaborer, chacun à leur manière l’ABC du cubisme. Tandis que Picasso déconstruit l’image, comme dans ce portrait qu’il fait de Gertrude en 1905-1906, étonnant mélange d’une tête précubiste sur un corps typique de sa période rose, préfigurant ce nouveau style qui va donner Les Demoiselles d’Avignon en 1907 - mise en pièces radicale de l’académisme-, Gertrude Stein entame une déconstruction du langage, jouant avec la répétition sonore, lexicale, syntaxique, avec des mots simples, courts. « J’aime les mots d’une syllabe » écrit-elle dans son livre Paris-France. Aboutissant très vite à une forme minimaliste d’écriture, dans une optique performative, de mise en boucle, comme l’illustre son fameux : « (…) une rose est une rose est une rose est une rose (…) », extrait du poème Sacred Emily, 1913.

Si l’œuvre de Stein est essentiellement littéraire et très diversifiée : poèmes, pièces de théâtre, livrets d’opéra, romans et récits, dont l’Autobiographie d’Alice B. Toklas -sa compagne- est le plus connu, de profondes affinités la lient aux arts, qu’ils soient visuels, plastiques ou vivants. Avec son frère Léo, peintre et historien d’art qui l’a initiée à l’art, elle va constituer une collection ou figurent outre des œuvres de Picasso, des Matisse (dont la Femme au chapeau qui fit scandale au Salon d’Automne), des Derain et aussi des Renoir et des Cézanne. Ils poursuivront ensuite chacun de leur côté ; elle avec plus d’audace.

La première partie de l’exposition met en scène cette invention du langage au travers d’œuvres de Picasso (Tête d’Homme, 1909 / Guitare, 1912) et des extraits de textes poétiques de Gertrude Stein, ainsi que des enregistrements sonores de la voix de cette femme impérieuse et massive au visage lisse, statufiée par le sculpteur Jacques Lipchitz en bouddha imperturbable. La seconde partie retrace l’influence de la radicalité poétique de Gertrude Stein sur les avant-gardes américaines de l’après-guerre, en danse, musique, art, autour de John Cage et de Merce Cunningham, du Living Theatre, de Fluxus, du Pop Art et de l’art minimal. Devenue à partir des années 1950 une icône de l’anti-art, du féminisme et du mouvement queer, de nouveaux portraits d’elle ont fleuri : en égérie pop art par Andy Warhol, en robot-téléviseur juponné par Nam June Paik, en image hypnotique par Deborah Kass.
Un bel hommage à cette audacieuse qui elle-même fit des portraits avec son medium, les mots. Elle y trouvait du plaisir et disait qu’il fallait méditer sur le plaisir. On en prend à visiter cette exposition, programmée dans le cadre de la Célébration Picasso 1973-2023, et qui porte surtout un éclairage inédit sur l’œuvre mal connue de Gertrude Stein.

Catherine Rigollet

Archives expo à Paris

Infos pratiques

Du 13 septembre 2023 au 28 janvier 2024
Musée du Luxembourg
19 rue de Vaugirard 75006 Paris
Tous les jours, de 10h30 à 19h
Nocturne le lundi jusqu’à 22h
Tarifs : 14€/10€
Tél. 01 40 13 62 00
https://museeduluxembourg.fr


Visuels :

 Gertrude Stein prise en photo par Man Ray aux côtés de son portrait réalisé par Picasso, en 1922. Tirage d’exposition, 9 x 12 cm. Centre Pompidou/RMN-Grand Palais/Man Ray 2015/Adagp paris 2023/succession Picasso 2023. Photo L’Agora des Arts.

 Pablo Picasso, « Femme aux mains jointes » (étude pour Les Demoiselles d’Avignon), Paris, printemps 1907. Huile sur toile, 90,5 x 71,5 cm. Musée national Picasso-Paris, dation Pablo Picasso en 1979. Photo L’Agora des Arts.

 The Linving Theatre, « An Evening of Bohemia Theatre » : Ladie’s Voices de Gertrude Stein, 1952. Affiche (tirage d’exposition). 53,3 x 35,5 cm. Claremont, Scripps College. © Denison Library. Photo L’Agora des Arts.

 Andy Warhol (1980), « Gertrude Stein », acrylique et sérigraphie sur toile.
101,9 x 101,9 cm. New York, Whitney Museum of American Art, gift of Ronald and Frayda Feldman. Photo L’Agora des Arts.

 Nam June Paik, « Gertrude Stein », 1990. Installation de moniteurs de télévisions nciens, technique mixte, deux canaux vidéo. The Ekard collection. Photo L’Agora des Arts.

 Joseph Kosuth, Quoted Clocks #14, 2022. Horloge et vinyle. Paris, galerie Almine Rech, courtesy of the artist and Almine Rech © Courtesy of the Artist and Almine Rech / Photo : Nicolas Brasseur © ADAGP, Paris 2023.