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Harriet Backer (1845-1932). La musique des couleurs

Qui connait Harriet Backer ? En Norvège, à la fin du XIXe siècle, à une époque où les femmes n’étaient pas considérées comme des citoyennes à part entière, Harriet Backer (1845-1932) s’est pourtant imposée comme la peintre femme la plus renommée.
Scènes d’intérieur représentant des activités traditionnellement dévolues aux femmes (soins des enfants, couture, piano, lecture), intérieurs d’églises, natures mortes et paysages, si sa peinture a beaucoup évolué d’un point de vue stylistique, passant d’un réaliste aux détails soignés à un impressionnisme qui brouille les formes (à son apogée avec son lumineux Intérieur du pensionnat de Nordgard, 1926-1930, au flamboyant jaune à la Bonnard), l’artiste est restée fidèle à un nombre resserré de sujets. Avec une constance : la fascination pour la lumière. Tant celle du Nord qui entre par les fenêtres, que celle des lampes créant un clair-obscur renforçant la pâleur des visages, comme celui de la femme lisant une lettre dans Intérieur, le soir (1896). Ou saturant les couleurs des intérieurs, tels les bleues et oranges des murs de la pièce dans laquelle une femme coud À la lumière de la lampe, 1890. C’est là une autre spécificité de la peinture de Backer, une certaine audace pour des coloris parfois surprenants de vivacité, mais que l’on retrouve dans l’architecture des maisons de bois peints (avec une dominante de rouge), et même l’intérieur des églises norvégiennes (Intérieur de la stavkirke, 1909).

La musique est l’autre composante importante de l’œuvre de Backer. Sa sœur, Agathe Backer Grondhal, est l’une des plus importantes compositrices norvégiennes de son temps et Harriet aussi maîtrise le piano, comme beaucoup de femmes de la bourgeoisie. Nombreuses sont les scènes d’intérieur qui montrent une femme à son piano, sa sœur notamment (Musique, intérieur à Kristiania, 1890). Une musique qui infuse du rythme à la composition Andante (1881) ; l’adéquation entre la musique et les effets picturaux semblant ici être le véritable sujet de l’œuvre. Backer souhaite que le tableau soit « une musique pour l’œil ». Avec elle, la musique se donne à voir.

Thématique et avec un choix équilibré de toiles (88 peintures, sur environ 180 tableaux qu’auraient réalisés l’artiste), l’exposition commence par évoquer sa formation à Berlin, Florence, Munich et Paris, où durant dix ans elle travaille à l’académie de Mme Trélat de Vigny, où enseignent Gérôme, Bastien-Lepage, Pelouse et Bonnat, avant de rentrer définitivement à Kristiania (devenu Oslo en 1925). Elle présente le cercle des proches d’Harriet, des artistes femmes scandinaves, également formées à travers l’Europe, féministes comme elle (la Norvège octroiera le droit de vote des femmes en 1913) et restées célibataires pour garder leur indépendance. Notamment Kitty Kielland avec laquelle elle partagera son logement-atelier et qui fit plusieurs portraits d’Harriet.
Suivent les peintures d’intérieurs rustiques et plus étonnant, d’églises, autour des rituels religieux comme un original Baptême dans l’église de Tanum (1892) à la perspective décentrée. Au premier plan à droite, une jeune femme chapeautée se retourne vers la lumière du porche, nous invitant à suivre son regard vers le groupe qui s’apprête à entrer.

Fait exceptionnel pour l’époque, Harriet Backer forme des élèves, femmes et hommes. Membre du conseil d’administration et du comité d’acquisition de la Galerie nationale de Norvège pendant vingt ans, elle ouvre au début des années 1890 une école de peinture où elle enseigne à des artistes importants de la génération suivante : Nikolai Astrup, Halfdan Egedius et Helga Ring Reusch... Elle est soutenue par le collectionneur Rasmus Meyer, également grand mécène d’Edvard Munch.
L’exposition consacre deux salles aux natures mortes et aux paysages, une thématique qu’elle a abordée tardivement dans sa carrière. Elle y expérimente la touche impressionniste de Monet, pour lequel elle a plusieurs fois exprimé son admiration (La Ferme de Jonasberget, 1892). Mais cette peinture de plein air un peu terne ne peut rivaliser avec la musique des couleurs de ses intérieurs et la douce mélancolie qui s’en dégage, comme dans cette fascinante et silencieuse toile, Solitude (1878-1880), montrant une femme attablée, main sur le menton, songeuse, le beau visage éclairé par la lumière blanche filtrée par le voilage de la fenêtre. Décédée à l’âge de 87 ans à Oslo, Harriet Backer qui a exposé et présenté des œuvres dans des salons à Paris, Chicago, Oslo, Stockholm…n’avait jamais fait l’objet d’une rétrospective en France.

Catherine Rigollet

Archives expo à Paris

Infos pratiques

Du 24 septembre au 12 janvier 2025
Musée d’Orsay
Tous les jours, sauf lundi, 9h30-18h
Nocturne le jeudi jusqu’à 21h45
Tarif plein : 16€
www.musee-orsay.fr
#HarrietBacker


 L’exposition Harriet Backer a été initiée par le National Museum, Oslo et le Kode Bergen Art Museum, et organisée en collaboration avec le Nationalmuseum, Stockholm et le musée d’Orsay, Paris. Commissariat : Leïla Jarbouai, Conservatrice en chef, arts graphiques et peintures au musée d’Orsay. Avec la collaboration d’Estelle Bégué, Chargée d’études documentaires au musée d’Orsay.


Visuels :

 Harriet Backer, Intérieur bleu, 1883. Huile sur toile, 84 x 66 cm. Oslo, National museum © National Museum.

 Harriet Backer, Solitude, 1878-1880. Huile sur toile, 68,5 x 92,5 cm.

 Harriet Backer, Musique, intérieur à Kristiania, 1890. Huile sur toile, 38,5 x 55,5 cm. Oslo, National museum.

 Harriet Backer, À la lumière de la lampe, 1890. Huile sur toile, 64,7 x 66,5 cm.
Bergen, Kode Bergen Art museum.

 Harriet Backer, Baptême dans l’église de Tanum, 1892. Huile sur toile, 110,8 x 143 cm. Oslo, National museum.

 Harriet Backer, Intérieur du pensionnat de Nordgard, 1926-1930. Huile sur toile.

Photos : L’Agora des Arts.