Né à Douai, Henri-Edmond Cross (1856-1910) a produit l’essentiel de son œuvre dans la lumière du Var, « le plus beau pays du monde ». À Saint-Tropez, le musée de l’Annonciade réunit une quarantaine de ses paysages néo-impressionnistes. Des œuvres solaires et joyeuses.
Si l’œuvre d’Henri-Edmond Delacroix (1856-1910), est nettement moins connue que celle de bien d’autres néo-impressionnistes, elle a pourtant laissé une empreinte indélébile dans l’histoire de la peinture. Devenu Cross dès 1883 pour se démarquer d’Eugène, l’autre Delacroix, Cross est un des premiers peintres du Nord à s’installer en 1891 dans le Var. Signac le rejoint en 1892 et tous deux incitent d’autres artistes tels que Théo Van Rysselberghe ou Henri Matisse à rendre hommage au paysage varois. Émerveillé par les sites qui l’entourent, Cross devient vite le chantre de la lumière et des couleurs, abandonnant l’impressionnisme pour adopter définitivement le pointillisme. Juxtaposant sur sa toile des petites touches de couleurs pures, il laisse le spectateur opérer lui-même la fusion des pigments.
Il peint ses premières marines néo-impressionnistes en commençant par les plages qui l’entourent comme celle de la Vignasse ou la calanque d’Antibois. Ignorant les détails, il adopte une vision synthétique en quête de la seule beauté des lieux. Petit à petit, sa peinture au trait de pinceau de plus en généreux s’éloigne des tons clairs, gagne en intensité, en liberté chromatique, même en lyrisme. Elle va s’épanouir pleinement dans ses œuvres plus tardives, centrées sur le nu dans cette nature méditerranéenne où prospèrent vignes, chênes-lièges et oliviers dans une atmosphère surchauffée (Femme dans les dunes rouges – Baie de Cavalière, vers 1906). Cross est un peintre dionysien porté par des idéaux anarchistes de ses amis néo-impressionnistes et la lecture de Nietzsche. « Je voudrais peindre du bonheur, des êtres heureux comme pourront l’être dans quelques siècles (?) les hommes, la pure anarchie réalisée… », écrit-il à son ami Signac, le 8 juin 1893.
Ses tableaux empreints d’une belle exaltation païenne éclairent d’un nouveau souffle vitaliste l’ancienne chapelle Notre-Dame de l’Annonciade devenue musée. L’exposition curatée par Marina Ferretti, grande spécialiste de l’œuvre de Signac (on se souvient de sa belle rétrospective « Henri-Edmond Cross : peindre le bonheur » à Giverny en 2018). rend compte de la progression de l’art de Cross, depuis les premiers paysages néo-impressionnistes peints en 1891-1892 jusqu’aux œuvres éclatantes de couleur et de sensualité des dernières années de ce peintre emporté trop tôt par un cancer, mais dont l’influence continuera de s’exercer auprès des Fauves, notamment d’Henri Matisse qui a vite repéré le talent de Cross à libérer la couleur. Un artiste en tout point solaire.
Catherine Rigollet