Trente ans après sa première invitation par la ville de Valence dans le cadre de la Biennale « Un Sculpteur, Une Ville », l’artiste catalan Jaume Plensa (né en 1955) est de retour dans la cité drômoise pour l’installation pérenne d’une sculpture monumentale au cœur du centre historique et d’une exposition parcourant trente ans de son œuvre.
Sur la Place des Ormeaux, nichée entre la cathédrale Saint-Apollinaire et le musée d’art et d’archéologie installé dans l’ancien palais épiscopal de Valence dominant le Rhône, la haute silhouette du Messager attire les passants. En acier inoxydable, ce corps sans visage, accroupi au sol, est devenu une figure emblématique du travail du sculpteur catalan qui a intégré le corps humain dans son art, dès les années 1990. Composée ici d’un moucharabieh de lettres d’alphabets du monde (notamment ici arménien en hommage à une importante colonie qui s’est installée dans la cité drômoise, en 1920, après le génocide), la sculpture est reliée au sol par un réseau de filaments de lettres soudées entre elles, telles des racines. Évoquant celles que chaque humain partage avec la terre. Pénétrable, Le Messager constitue un abri symbolique et un hymne à une humanité issue du métissage.
À l’occasion de l’installation de cette œuvre pérenne, le Musée de Valence – art et archéologie présente l’exposition « Jaume Plensa. Être là ». L’artiste a sélectionné avec la commissaire et directrice Ingrid Jurzak une soixantaine d’œuvres de ces trente dernières années, disposées en séries dans un parcours non chronologique. Dans la série Nest (2022), les traits juvéniles de Carolina, Juana ou Martina émergent de la pierre comme s’ils étaient déjà contenus dans ces blocs d’albâtre féconds et protecteurs. Dans White Forest (2015), Jaume Plensa a sculpté des visages (ici aussi de très jeunes femmes), ensuite transposés en bronze, puis peints en blanc et qui ont conservé les fissures du bois. Selon l’artiste, leurs yeux fermés invitent le spectateur à regarder à l’intérieur de lui-même, à y retrouver l’âme qui vit dans l’obscurité de son corps.
Outre ses têtes de belles endormies qui évoquent une humanité universelle, sans aspérités, apaisée, silencieuse, l’exposition met en évidence l’importance des lettres et donc des mots pour les êtres de communication que nous sommes, et par la même des textes qui diffusent la culture. Jaume Plensa n’exclut pas les effets visuels dans son œuvre pour mieux accrocher notre regard. Comme cette pluie de lettres produite par Silent Rain (2003), un rideau de lettres qui se lisent verticalement, révélant des extraits de William Blake (Proverbes de l’Enfer), William Shakespeare (Macbeth), Goethe (Faust) ou encore Charles Baudelaire (Les Litanies de Satan). Des tentures métalliques qui bruissent de sons quand un courant d’air les agite. Autre effet avec la série spectrale Shadow (2010-2011), des silhouettes humaines formées de tresses de lettres dessinées à la peinture-émail noire, et s’évanouissant en coulures. Visages encore, mais sur papier avec Face (2008), une série de collages qui associe des visages issus de photographies extraites d’anciens manuels de géographie et d’anthropologie, à des textes qui reprennent la version anglaise de la « Déclaration universelle des droits humains », adoptée par les Nations Unies en 1948.
Présentes dans les collections des musées partout dans le monde, mais aussi dans des espaces publics, les œuvres de Jaume Plensa sont régulièrement exposées dans des musées comme à Saint-Étienne en 2017 et galeries, notamment la galerie Lelong & Co qui le représente. L’exposition à Valence, qui donne à voir un échantillon de ses trente dernières années de création, confirme l’incessante quête de beauté et de poésie d’un artiste poursuivant son rêve d’une humanité apaisée.
Catherine Rigollet