Connu pour ses portraits d’enfants candides aux boucles soyeuses et aux bonnes joues rouges et ses scènes de genre interrogeant l’intimité familiale, Jean-Baptiste Greuze (1725-1805) fut en son temps applaudi par le public et les critiques. Aujourd’hui oublié, le Petit Palais rend hommage à ce dessinateur hors pair à l’occasion du 300e anniversaire de sa naissance. Il nous révèle un artiste nourri des idéaux des Lumières, adulé par l’encyclopédiste Denis Diderot (avant que ce dernier prenne ses distances), ardent défenseur d’une éducation rousseauiste et surtout portraitiste talentueux, restituant avec finesse la diversité des émotions. Des têtes d’expression recherchées des amateurs, d’où leur multiplication par l’artiste.
Au fil du parcours, Greuze se révèle aussi un peintre moraliste. Au milieu de toutes ces figures de l’enfance, il fait la promotion des mères allaitant leurs enfants (ce qui ne l’empêchera pas de mettre ses filles en nourrice), se plait à peindre des rituels scandant la vie familiale comme la galette des rois ou la lecture de la bible, mais dévoile aussi un théâtre moins serein, celui du désordre qui peut y régner. Greuze met en scène, comme une psychanalyse de sa propre vie malheureuse, ce lieu familial pouvant caché violence physique et psychologique. Il la fait éclater dans La Malédiction paternelle, le fils puni, ou encore dans La Femme en colère. Il la rend cynique dans La lecture du testament. Elle devient ambivalente dans Les œufs cassés, symbole de la virginité perdue ; que l’on peut lire aussi dans l’ambiguë toile La cruche cassée, portée par une adolescente à la tenue en désordre, les mains crispées sur un bouquet de roses. Autant de tableaux qui font l’objet de belles et lucratives gravures, diffusées du vivant de Greuze…qui finira toutefois ruiné par sa femme, dont il divorcera après moult disputes.
Délaissé par le public et les acheteurs, mais entouré de ses deux filles devenues peintres elles-aussi, notamment Anne-Geneviève (Anna), dont nombre de tableaux furent -et peut-être sont encore- attribués à tort à son père, Greuze n’intéresse plus. « J’ai tout perdu, or le talent et le courage », écrit-il en 1801. La centaine de peintures, dessins et estampes, provenant des plus grandes collections françaises et internationales, avec des prêts exceptionnels (comme le Metropolitan Museum of Art de New York), confirme cet indiscutable talent.
Catherine Rigollet










