Miroirs de nos maux contemporains
Une main d’adulte extirpe un nuage de la bouche d’un enfant. Sur la même grande composition, une fillette au sourire narquois tient en laisse un fauve tandis qu’une femme en robe rose légère, le visage dissimulé derrière un masque, façon Dark Vador, est assise à côté d’une sculpture totémique aux cornes démoniaques. Malgré le ciel bleu et le paysage bucolique à l’arrière-plan, la scène ressemble à un conte cruel. Exorcisation de la canicule en promenant ma hyène dans la forêt d’Assenay, annonce le titre. Le peintre, casquette vissée sur la tête, foulard aux petites têtes de mort noué autour du cou, yeux malicieux derrière ses lunettes cerclées de noir et sourire en coin touchant ses longues rouflaquettes blanches, ne nous en dira pas beaucoup plus.
Bien qu’énigmatique, la peinture de Jean-François Veillard raconte beaucoup, lui parle peu. À peine nous glisse-t-il qu’elle nait de ses rêves, des réminiscences de son enfance, des histoires du Bas-Berry nourries de sorcellerie, de farfadets, de chats noirs et de chouettes qu’on clouait sur les portes des maisons. Elle dit aussi ses indignations : crise des migrants (comme cette grande toile Mouvement migratoire dans la tempête) ; dérives du pouvoir ; mépris des élites (série de portraits Les sans Nom) ; poids des religions ; ou encore cette mondialisation et mercantilisation de la culture que le peintre caricature avec des oreilles de Mickey omniprésentes dans son œuvre. On y retrouve nombre de grands mythes, images bibliques, symboles de l’histoire de l’art : Chute d’Icare, Tentation de St Antoine, Saint Georges et le dragon, Don Quichotte, Eros et Thanatos, anges et démons, masques de carnaval, cornes de cerf, oreilles de lapins, trognes grotesques et ribambelle de corneilles. Un univers débridé, expressionniste, violemment coloré, caustique, à la fois dérangeant et jouissif.
Passé par les Beaux-Arts à Orléans, diplômé de l’école Boulle en tapisserie, installé entre la campagne du Val de Loire et son atelier-boutique du 20e arrondissement, Jean-François Veillard (né en 1952) a trouvé dans la peinture figurative à l’huile les moyens de s’exprimer. Il s’est contraint à balayer ses savoirs académiques, à flirter avec le surréalisme, pour mieux traduire les folies humaines qui le hantent. Un univers qui évoque le carnaval de la vie d’Ensor, la dramaturgie d’un Beckmann, les caprices humains chers à Goya, le bestiaire d’un La Fontaine, mais sans la morale, que l’artiste abandonne au fabuliste, préférant nous laisser déchiffrer comme bon nous semble, le sens de sa peinture narrative.
Depuis un an, avec le petit bois qu’il utilise pour allumer son feu, il s’est mis à fabriquer de drôles de sculptures à roulettes blanchies à la chaux. Des œuvres d’art brut auxquelles il ajoute une légère coloration pour les yeux et la bouche afin que ces Farfadets prennent vie. Des sculptures en lien direct avec ses peintures, « mais plus apaisées », souligne-t-il. Une quête de sérénité face à nos maux contemporains ?
Catherine Rigollet (janvier-février 2020)
Photos ©Lionel Pages (sauf Farfadets : ©JFV)