Quarante ans après sa mort, l’été 2024 offre un triple hommage à Jean Hugo, 1894-1984 (arrière-petit-fils de Victor) qui fut à la fois peintre, décorateur et écrivain, autour de trois expositions complémentaires : « Le regard magique » au musée Fabre de Montpellier, « Entre ciel et terre » au musée Paul Valéry de Sète et « Sa vie à Lunel de 1920 à 1984 » au musée Médard de Lunel, ville où il vécut plus de cinquante ans.
Dans la famille Hugo, depuis Victor, on a le sens artistique et un bon coup de crayon. Si l’on ne présente plus le célèbre écrivain, également artiste graphique au trait de génie puissant et ténébreux, on ignore souvent que la créativité de Victor Hugo s’est poursuivie sur cinq générations d’artistes, notamment avec Georges Hugo, petit-fils du poète, immortalisé enfant par le recueil de poèmes « L’Art d’être grand-père », peintre dilettante mais excellent dessinateur plein de délicatesse que le musée Victor Hugo a exposé en 2023. et plus encore avec le fils de Georges, Jean. Personnalité de la Belle Époque, ce décorateur de théâtre, illustrateur puis peintre prolifique a réalisé plus de 1000 peintures et 3000 dessins pendant ses quatre-dix ans d’existence. Une œuvre tournée vers le paysage, nourrie de multiples influences, mais devenue parfaitement identifiable avec ses formes simples, stylisées, sa matière fluide, ses aplats colorés et ses tonalités primaires dominantes selon les toiles, ici de rose, là d’orange, ou encore de bleu, de vert ou de jaune. Comme un jeu pictural. Une fraicheur, voire « une naïveté savamment élaborée » comme l’écrit Pierre Wat dans le catalogue qui réunit les deux expositions (coédition musée Fabre et musée Paul Valéry aux Éditions Snoeck, 40€).
LE REGARD MAGIQUE A MONTPELLIER
Né en 1894 et disparu en 1984, cet arrière-petit-fils de Victor Hugo, a traversé presque tout le XXe siècle et trois musées rendent hommage à son œuvre protéiforme à l’occasion du 40e anniversaire de sa mort. Le musée Fabre de Montpellier a fait le choix, en lien avec la famille Hugo, de présenter l’intégralité de son fonds Jean Hugo, complété de prêts de musées de France et du monde (Metropolitan Museum of Art (New York), Dansmuseet (Stockholm), Musée national Picasso, musée de l’Orangerie, Bibliothèque Nationale de France et Centre Pompidou (Paris). Soit un bel ensemble de peintures, décors de théâtre, costumes, dessins, photographies, documents, élégamment scénographié autour d’une rotonde centrale ouvrant sur les différentes thématiques qui inscrivent son œuvre dans sa diversité d’expressions : illustration, décor, peinture. La resituant dans ses débuts depuis la Grande Guerre jusqu’à la Seconde Guerre mondiale et dans l’histoire culturelle qui l’accompagne en ce début de XXe siècle. Celle des avant-gardes en peinture, littérature, théâtre, musique (groupe des Six) qu’il côtoie et dont on retrouve nombre d’œuvres sur les cimaises de cette exposition : Baigneuses de Picasso, Verre et journal de Juan Gris, Basse-cour du Douanier Rousseau, Bouvier de Roger de La Fresnay, Œil Cacodylate de Picabia, dessins de costumes de Georges Braque, ou encore Autoportrait sans visage de Cocteau qui fut le premier à avoir encouragé Jean Hugo sur la voie artistique.
Sur le plan formel, l’artiste a construit son propre style et univers en multipliant l’usage de ses sources d’inspiration. Car bien qu’autodidacte, Jean Hugo a eu ses maitres (Ingres, Poussin ou les primitifs italiens) comme on le discerne dans Nathanaël sous le figuier (1933), et ses influences liées à ses échanges et liens d’amitié avec le milieu culturel parisien. Elles se glissent dans ses décorations (paravent pour Misia Sert), décors de théâtre et costumes pour Cocteau (maquettes de costume pour Les Mariés de la tour Eiffel), Darius Milhaud, Dullin, Barrault (Antoine et Cléopâtre de William Shakespeare, mise en scène Jean-Louis Barrault, 1945), etc., et dans ses tableaux. Surtout lorsqu’il fait le choix de se consacrer quasi-exclusivement à la peinture en s’installant à partir de 1929 au mas de Fourques, propriété viticole héritée de sa grand-mère maternelle, près de Lunel.
ENTRE CIEL ET TERRE À SÈTE
Au calme de ces paysages de Camargue, sans pour autant rompre avec ses amis parisiens qui lui rendent souvent visite (Picasso, Louise de Vilmorin, Jean Cocteau, Christian Bérard, Georges Auric…), tout en poursuivant la création de décors et en voyageant (France, Angleterre, Italie, Espagne, Tunisie…), Jean Hugo y développe une vision picturale de la nature et de la vie rurale, poétique et harmonieuse, portée spirituellement par sa récente conversion au catholicisme en 1931. « Je m’étais composé un pays selon mon goût, dans lequel je situais mes tableaux », écrit-il dans Le Regard de la mémoire, en 1983.
C’est la représentation de ce « pays » de Jean Hugo qui est mise en avant au musée Paul Valéry à Sète à travers plus d’une centaine d’œuvres - peintures, dessins, livres illustrés, objets d’art, qui vient compléter chronologiquement l’exposition du musée Fabre de Montpellier. Au fil du parcours, on voyage dans la nature et les paysages du Languedoc et de l’Aveyron, puis de l’Estérel à l’Espagne, poursuivant avec des paysages de voyages et se terminant par une salle consacrée à des natures mortes. On admire tout particulièrement ses paysages composés par zones colorées distinctes qui font formes (orange de la plage des Barques noires, violet du ciel de Cadaquès la nuit, jaune des maisons de l’Olivade aux Embruscalles, jaune et vert des près et maisons du Pré des femmes en noir…les fulgurances créatives d’un univers original ou s’entrelacent indissolublement les influences du cubisme picassien (Nant sous la pluie, 1962), la facture lisse de Roger de la Fresnay (Le port de Sète, le bateau blanc, 1971), la naïveté et l’archaïsme du Douanier Rousseau (Garrigue et la femme en bleue, 1975), la spatialité des compositions de Chirico (Les barques noires, 1960). Et si Hugo a « fait usage du travail des autres, ça n’est ni à la façon d’un caméléon (…), ni tel innocent ignorant de quoi l’histoire de son art est faite… », souligne encore Pierre Wat. C’est une leçon digérée. Un legs fécond.
Quarante ans après sa mort, ce triple hommage à Jean Hugo est une belle opportunité de découvrir presque l’intégralité de l’œuvre de cet artiste au regard de poète et l’occasion d’une balade estivale dans l’Hérault, au cœur du Languedoc.
Catherine Rigollet