Cent ans après l’exposition internationale des arts décoratifs et industriels modernes de 1925 qui a propulsé l’Art déco sur le devant de la scène mondiale, le musée des Arts décoratifs célèbre ce style audacieux, raffiné et résolument moderne dans un parcours riche d’un millier d’œuvres, souvent iconiques, mais dans une scénographie un peu trop « vitrines », manquant de décors pour nous plonger dans l’ambiance.
En 1925, l’Exposition Internationale des Arts Décoratifs et Industriels Modernes qui se tient à Paris est un tournant majeur. Elle met en valeur cette nouvelle esthétique née dans le sillage des réflexions européennes sur l’ornementation, se distinguant par une esthétique structurée, géométrique, élégante, alliant modernité et préciosité et révélant son influence en France et dans le monde sur de nombreux domaines : mobilier, mode, joaillerie, arts graphiques, architecture, transports...
Toutefois, si les progrès de l’industrie permettent alors la production d’objets en série, le style Art déco, dont s’entichent des célébrités comme Jeanne Lanvin, Jacques Doucet, Nelly et Robert de Rothschild ou François Mauriac qui fait appel à Jean-Michel Franck pour la réalisation de son appartement parisien, reste plutôt réservé aux catégories sociales aisées, du fait du coût élevé des matériaux et de la finesse des techniques mises en place à cette époque. Des oppositions apparaissent d’ailleurs entre les tenants d’un luxe décoratif qui privilégie les vertus artisanales, la somptuosité des matériaux, et les défenseurs d’une production rationalisée de masse qui s’affirme en 1929 avec la création de l’Union des Artistes Modernes (UAM 1929-1958). Architectes, décorateurs, sculpteurs, affichistes tels Charlotte Perriand, Mallet Stevens, Francis Jourdain, Jean Puiforcat, Le Corbusier, Jean Prouvé, Eileen Gray...prônent un art véritablement social, adapté au progrès et intégrant les formes et technologies industrielles du moment. Leur volonté est de faire sauter les barrières entre les disciplines.
Organisée selon un vaste parcours (un peu surprenant, passant du 2e étage au 3e, avant de redescendre dans la nef), l’exposition retrace les origines, l’apogée, le développement et les réinterprétations contemporaines de l’Art déco, en puisant dans le fonds remarquable du Musée des Arts déco, enrichi d’œuvres prêtées par de grandes institutions et collections privées.
On y découvre des pièces emblématiques de la mode (robe de crêpe de soie brodée de perles signée Frantz Jourdain, robe aux petits chevaux de Madeleine Vionnet ou robe Jeanne Lanvin), de la ferronnerie avec ce paravent L’Oasis d’Edgar Brandt reconnu à l’unanimité comme l’un des chefs-d’œuvre de l’Exposition universelle de 1925. Mais aussi des bijoux et accessoires comme ceux du joaillier Cartier, pionnier dans une esthétique géométrique qui s’inspire du cubisme de Braque et Picasso. Un cubisme qui va bientôt toucher mobilier, vitrail et objets d’art. L’opposition des couleurs s’affirme aussi comme dans cet étui à cigarettes dessiné par Raymond Templier illustrant l’affiche de l’exposition. L’Art déco influence profondément le mobilier en créant un style moderne, luxueux par les matériaux utilisés, mais toujours fonctionnel, même dans des pièces d’exception comme le chiffonnier en galuchat d’André Groult, ou le somptueux bahut Élysée de Jacques-Émile Ruhlmann en chêne, loupe d’Amboine, ivoire et bronze argenté. Véritable modèle de l’ensemblier, Ruhlmann collabore tout au long de sa carrière avec de nombreux artistes et fabricants. Jean-Michel Franck aussi noue une fructueuse collaboration avec un artiste comme Giacometti qui va créer plus de 70 objets pour lui, dans un goût de l’épure cher à Franck.
Si l’exposition intègre des petits podiums dédiés à trois figures marquantes de l’Art Déco (Eileen Gray, Jacques-Émile Ruhlmann et Jean-Michel Franck) et présentant quelques-unes de leurs créations au savoir-faire d’exception, elle pèche par manque de reconstitutions nous immergeant dans l’ambiance Art déco. Seule exception avec le spectaculaire bureau-bibliothèque de Pierre Chareau conçu pour l’appartement privé d’une Ambassade française et réinstallé dans l’exposition.
Symbole du voyage raffiné et décoré par de grands artistes comme René Prou ou René et Suzanne Lalique, L’Orient Express investit la grande Nef du musée. Interrompue dans les années 1970, la célèbre ligne doit reprendre du service courant 2027, à la suite de son rachat par les groupes Accor et LVMH. Dialoguant avec une voiture-salon 1re classe d’un wagon Pullman « Étoile du Nord » de 1929, au luxueux confort Art déco inspiré des cabines d’un paquebot comme le Normandie, des maquettes d’intérieur à échelle 1 du futur Orient Express réinventé par l’architecte et designer Maxime d’Angeac (né en 1962), promeuvent « l’alliance du design industriel le plus exigeant aux métiers d’art les plus pointus ». Cet ambassadeur roulant du luxe à la française, qui renouvelle la figure de l’ensemblier emblématique de l’Art déco, confirme aussi les limites de la démocratisation de l’Art déco à laquelle rêvaient les créateurs réunis en 1929 sous la bannière de l’Union des artistes modernes, inspirés par l’esprit du Bauhaus.
Catherine Rigollet











